Färnlöf on Pézard and Stiénon, eds. (2022)

Pézard, Émilie & Stiénon, Valérie, éditeurs. Les Genres du roman au XIXe siècle. Classiques Garnier, 2022, pp. 470, ISBN: 978-2-406-12978-3 

Issu d’un colloque de 2016, ce riche volume apporte une contribution essentielle à la compréhension des genres romanesques dans une perspective historique. Dans une introduction dense, Émilie Pézard et Valérie Stiénon déclarent leur option d’appliquer une approche non essentialiste des genres étudiés, considérés comme des assemblages non arbitraires, mais pourtant pas parfaitement transparents, qui se sont constitués durant le cours de l’histoire. Comme l’indique le titre des actes, c’est essentiellement le XIXe siècle qui reste au centre, même si quelques études puisent également dans le siècle suivant. Ce choix chronologique se défend par plusieurs arguments: la démocratisation du roman (cf. la préface de Germinie Lacerteux), sa légitimation (notamment avec Balzac suivant Walter Scott), sa diffusion auprès du grand public (avec entre autres l’invention du roman-feuilleton), sa variation (l’excellent index des genres à la fin du volume indique environ 170 sous-genres romanesques !), et sa consécration (Balzac, Stendhal, Flaubert, Zola, etc.). 

Les éditrices proposent de disposer les vingt-deux articles en cinq parties : “Les genres aux frontières du roman,” “Qui définit les genres ?”, “Y a-t-il un genre sous l’étiquette ?”, “Le roman à travers les genres,” et “Les genres du roman, de haut en bas.” L’avant-dernière contribution aborde la situation actuelle du genre romanesque, suivie d’une postface de Thomas Pavel qui clôt de manière judicieuse le volume en justifiant l'approche proposée. Le célèbre théoricien insiste sur la spécificité de l’évolution du roman au XIXe siècle, prise entre la dialectique du statut générique bas (populaire) et élevé (cultivé), qui est constitutive de la pratique romanesque depuis le Moyen-Âge. Cependant, cette dialectique prend une facette particulière à l’aube de la modernité, se caractérisant par une tendance à la variation (populaire) et à la codification (cultivée), comme évoqué dans l’introduction du volume.  

Chaque partie est l’objet d’une présentation dans l’introduction, constituée de résumés des interventions et de réflexions sur des aspects génériques liés à ces interventions. La disposition s’avère opératoire, même si elle demande certains efforts de conceptualisation de la part du lecteur. Par exemple, les limites entre généricité dissimulée (deuxième partie) et hybridation (troisième partie) ne semblent pas entièrement étanches. Les contributions ouvrent aussi vers de nombreuses références croisées. Le thème du quotidien, le sujet de la presse, la question de la définition d’un sous-genre romanesque apparaissent dans plusieurs sections. Au lieu de constituer une critique, ces remarques nous amènent à constater que ce volume, avec sa problématique et son sujet d’étude bien complexes, ne se laisse pas se structurer aisément, d’autant plus que le volume est issu d’un colloque accueillant naturellement des interventions variées. 

Les interventions témoignent d’une haute qualité, certaines d’entre elles étant signées de dix-neuvièmistes bien renommés (Patrick Berthier, José-Louis Diaz, Sylvain Ledda ou Éléonore Reverzy). La diversité est grande, qu’elle touche le domaine générique (avec une panoplie de genres romanesques), institutionnel (discours critique, presse satirique, politique d’édition) ou poétique (genres discursifs, modalités de composition, conditions minimales pour cerner un genre). Pourtant, la cohérence du volume n’en souffre pas, grâce à sa focalisation sur les problématiques liées à la constitution et à l'évolution de différents sous-genres romanesques. Bien qu'ils abordent brièvement une sélection d'écrivains majeurs (notamment Gautier, Stevenson, Vigny et Zola), les sujets dépassent généralement le cadre des études monographiques centrées sur un seul auteur.  

Outre l’introduction et la postface, toutes deux éclairantes, plusieurs contributions méritent d'être signalées. Plutôt que de se limiter à retracer l’évolution spécifique d’un genre sous-historique, ces entrées offrent des pistes intéressantes pour des recherches futures sur la question générique. Par exemple, Bernard Gendrel examine les mœurs, l’intrigue “romanesque” et le portrait du personnage comme des paramètres déterminants pour l’appartenance à un sous-genre. Jean-Marie Seillan explore comment la thématique peut constituer un sous-genre, comme le “roman aérostatique,” en fonctionnant comme un élément dominant. Lola Stibler aborde la relativité de l’appellation générique en raison de l’influence du paysage littéraire. Enfin, Roger Musnik et Pézard réfléchissent sur le rôle des illustrations en couverture, qui contribuent à former les attentes génériques des lecteurs. 

Le volume a pour ambition de cerner le genre en tant que manifestation historique. Afin de poursuivre cette excellente historicisation, il semble nécessaire d’inscrire futures réflexions dans la théorisation tant développée sur le genre littéraire. En effet, le volume est pratiquement exempt de tels renvois (à l’exception de la présentation succincte des travaux de Dominique Maingueneau et de Marc Angenot dans l’introduction). Cela vaut tout aussi bien pour la théorisation de l’évolution des genres littéraires (on peut par exemple penser à Bourdieu, Jauss, Tynianov) et du roman en particulier (Bakhtine, Girard, Jameson, Lukács). On pourrait ainsi prévoir que les observations qui alimentent les contributions de ce volume important gagnerait en profondeur si elles s’appuyaient davantage sur la théorisation du genre littéraire et du roman, en tenant compte notamment de la critique non francophone, presque absente de la bibliographie sélective. 

Ce dernier propos est à prendre comme encore une perspective à ajouter aux nombreuses dimensions qu’explore Les Genres du roman au XIXe siècle. Ses études diversifiées, mais obéissant toutes à une approche cohérente, prennent la forme d’études très initiées de cas, apportant des mises à point fondamentales sur un corpus partiellement méconnu. Le volume sera ainsi d’une grande utilité pour tout étudiant de niveau avancé, doctorant ou chercheur qui s’intéresse à la problématique des genres ou qui travaille sur la littérature du XIXe siècle. De plus, il est édité de façon exemplaire, offrant une bibliographie sommaire et deux index au lecteur: celui des noms et, surtout, celui des genres (dont on se doit de louer, encore une fois, la précision analytique). Enfin, bien que datant de 2016, le contenu du volume demeure pertinent aujourd’hui, à une époque où l’on observe un intérêt croissant pour les interrogations portant à la fois sur le texte et son contexte.