Ippolito on Becker and Dufief, eds. (2017)
Becker, Colette et Pierre-Jean Dufief, éditeurs. Dictionnaire des naturalismes. Honoré Champion, “Dictionnaires & Références,” 2017, pp. 1005, 2 vols, ISBN 978-2-7453-3438-1
Becker, Colette et Pierre-Jean Dufief, éditeurs. Dictionnaire des naturalismes. Honoré Champion, “Dictionnaires & Références,” 2017, pp. 1005, 2 vols, ISBN 978-2-7453-3438-1
Christophe Ippolito, Georgia Institute of Technology
Deux textes liminaires des éditeurs de l’ouvrage et d’Yves Chevrel, respectivement “Pourquoi ce dictionnaire” (13–20) et “Naturalisme(s): Singulier ou Pluriel” (21–33), introduisent ce dictionnaire et expliquent la méthodologie employée. Le débat sur l’emploi du mot “naturalisme” au singulier ou au pluriel avait été abordé par Céline Grenaud-Tostain et Olivier Lumbroso dans Naturalisme—Vous avez dit naturalismes? (PU Sorbonne Nouvelle, 2016).
La présentation des deux éditeurs scientifiques célèbre un mouvement “qui marque une rupture dans l’histoire de la création” et se donne comme mission de dégager le naturalisme d’une gangue d’idées reçues qui en faussent la perception (13). Les éditeurs sont attentifs au contexte de ce mouvement: ils notent ainsi qu’il se développe parallèlement au symbolisme (13). Pour eux, ce dictionnaire ne devait pas être “un dictionnaire biographique des écrivains dits naturalistes” mais “d’abord une étude des grandes questions posées par le naturalisme” (14). Ces éditeurs donnent une liste des groupes et personnes intégrés dans le dictionnaire, des inspirateurs (Flaubert, Balzac) aux maîtres à penser (Claude Bernard, Schopenhauer), en passant par ceux qui, français ou étrangers, connus ou moins connus, ont participé au mouvement, y compris nombre de petits naturalistes, des éditeurs importants, ou ceux qui ont dénigré le mouvement (17). L’entrée sur Flaubert commence par cette phrase: “Avec Balzac, l’inspirateur et le maître des écrivains naturalistes” (432); elle souligne la prééminence par lui accordée à la forme et mentionne des textes critiques des écrivains naturalistes sur Flaubert. Notant qu’il n’y eut jamais d’école naturaliste (15), les éditeurs pointent des caractéristiques du mouvement, ainsi l’entrée des classes inférieures dans nombre d’ouvrages, ou le souci documentaire (18). Les entrées comportent une courte bibliographie.
Des parcours thématiques sont proposés en fin de dictionnaire. Par “parcours thématiques,” il faut entendre plusieurs entrées groupées autour d’un thème: l’anticolonialisme, l’art, la femme, la postérité du naturalisme en France, la science, la vie sociale… On peut considérer que la table des matières dessine également un parcours thématique. Ainsi, pour éviter des formes de double emploi, il n’y a pas à proprement parler d’entrée pour “manifestes,” même si ce mot est dans la table des matières. Néanmoins, “manifestes” y renvoie à “campagnes (dans la presse),” “France (Histoire du naturalisme en),” Journal/Journalisme,” “Préfaces, Revues et journaux naturalistes.”
Les articles montrent un effort de synthèse mais aussi l’intention d’apporter du nouveau. Une longue entrée sur l’autobiographie (89–95) examine ainsi le rôle des biographèmes dans la construction des romans naturalistes, “hantés,” lit-on, par l’autobiographie. L’entrée sur le capitalisme (175–79) est l’occasion d’une relecture fort productive de bon nombre de romans de Zola, de Germinal à L’Argent. Même effort de synthèse dans la présentation de données éparses dans l’entrée sur l’anticolonialisme (66–67), qui ne manquera pas d’intéresser les spécialistes en littératures francophones, et où l’on voit l’intérêt bien compris que portent les naturalistes aux misères de la vie coloniale (maladie, violence, incompétence…). ll ne s’agit pas du premier dictionnaire dans le domaine naturaliste, mais le Dictionnaire du naturalisme de René-Pierre Colin (Du Lérot, Tusson, 2012) ne prenait pas en compte les littératures dans d’autres langues que le français. Ce dictionnaire comble donc un vide; il existe ainsi plusieurs entrées sur les naturalismes dans différents pays (États-Unis, Portugal, Suède…).
Les aspects essentiels du mouvement sont couverts. Dans l’entrée sur le déterminisme, on lit que Zola a adapté cette doctrine à la création littéraire (305). Celle sur le milieu, qui montre l’influence d’Hippolyte Taine mais aussi celle de C.A. Sainte-Beuve, décèle chez les naturalistes une “approche plus ‘scientifique’ de la littérature” (631) et ne manque pas de citer Zola sur L’Assommoir: “montrer le milieu peuple” (632). L’entrée sur la fatalité cite aussi Zola qui dans sa préface à Thérèse Raquin parle de ses personnages “entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair” (413). La politique n’est pas absente: l’entrée “politique” montre notamment que “Zola multiplie les attaques contre la politique” (761) entre 1879 et 1881, et plus généralement indique un certain mépris des naturalistes pour la politique. L‘entrée sur le “peuple” invite à relever le rôle-clé de “ce monde sous un monde” (734) pour les naturalistes, pour reprendre l’expression de Zola: leurs romans mettent en scène des domestiques, des prostituées, toute une imagerie du bas et du souterrain; dans ces romans, le peuple parle beaucoup, quand il n’est pas condamné à un “mutisme absolu” (736). L’articulation entre réalisme et naturalisme est fort bien mise en évidence, avec des entrées sur l’illusion réaliste mais aussi sur le réalisme; dans la dernière, Colette Becker revient longuement sur la tradition réaliste, et insiste sur le fait que le véritable réalisme, qui traite de “sujets tirés de l’observation de la vie quotidienne,” peut “dépasser la description, pour démonter les mécanismes sociaux” (796). Ici comme ailleurs, la longueur de l’entrée donne de l’espace à la discussion. Le Dictionnaire ne néglige pas le théâtre naturaliste en France et à l’étranger, lui consacrant de longues pages, ni d’ailleurs le film ou la peinture (une entrée porte sur la peinture naturaliste). Il se termine avec une entrée conséquente de Colette Becker sur Zola. Enfin, le Dictionnaire montre le riche héritage du naturalisme, par exemple dans l’entrée sur Najib Mahfuz, le prix Nobel de littérature égyptien, pour qui Zola fut un modèle et qui dans ses romans et nouvelles s’attache à montrer l’influence du milieu.
On peut regretter de ne pas trouver d’entrées sur les œuvres, d’en trouver peu sur les études génétiques et de voir peu de choses sur les critiques dans d’autres langues que le français. Mais on se doit de célébrer ce dictionnaire en deux volumes qui, sans prétendre à l’exhaustivité, est complet et bien organisé. Cet ouvrage de référence sera un instrument indispensable aux chercheurs dix-neuviémistes. Gageons qu’il trouvera sa place dans les rayons de toutes les bibliothèques universitaires qui se respectent.