Tonnerre on Montcalm, ed. Rossi (2012)
Montcalm, Amandine-Marie-Antoinette de. Mon journal, commencé le 10 avril 1815. Ed. Henri Rossi. Paris: Honoré Champion, 2012. Pp. 368. ISBN: 9782745323545
Montcalm, Amandine-Marie-Antoinette de. Mon journal, commencé le 10 avril 1815. Ed. Henri Rossi. Paris: Honoré Champion, 2012. Pp. 368. ISBN: 9782745323545
Olivier Tonnerre, The University of Mississippi
Mon journal, commencé le 10 avril 1815, écrit par la marquise de Montcalm, est un texte non sans charme, parfois un peu confus, qui vole d’un sujet à l’autre, passant sans gêne d’un compte rendu de l’actualité politique à des potins de salon, virevoltant des portraits des femmes et des hommes qui comptent aux annonces des mariages du monde. On y trouve de tout, et chacun, si la période l’intéresse, pourra y découvrir un passage sinon à son goût, du moins qui nourrit ses intérêts. En cela, le lecteur sera aidé par l’excellente édition à la fois érudite et accessible d’Henri Rossi, dont les notes, souvent passionnantes, font revivre tout autant que la marquise non seulement les coulisses d’une époque, mais l’âme d’une grande dame de la Restauration.
Demi-sœur du duc de Richelieu, qui fut président du conseil en 1815 puis de nouveau en 1820, Montcalm commence son journal pendant les Cent-Jours. Son salon prend ensuite son essor lors de la nomination de son frère à la tête du gouvernement, et rassemble le tout Paris politique de la Restauration. Elle y trône comme une véritable reine, parlant peu mais dirigeant la conversation de ses invités d’une main de fer (15). Le journal évoque avec une grande lucidité les événements politiques du temps, avec une révérence quasi hagiographique, ainsi que le suggère si justement Henri Rossi, pour ce frère adoré, en proie à toutes les luttes, qu’elles soient internes ou dues aux vicissitudes de la vie politique.
Pour la marquise, ce salon est une fenêtre ouverte sur le monde: devenue bossue pendant son adolescence, d’une santé fragile qui s’aggrave suite à la naissance d’un enfant mort-né, elle est infirme et ne peut se déplacer. Ce salon et les conversations qui lui donnent vie constituent son rapport au monde et son expérience de la vie. Elle est très consciente des limites de son journal, qui lui sont imposées par son corps défaillant. Le 12 juin 1817, elle écrit: “Je suis persuadée que ce journal paraîtrait bien fastidieux à ceux qui pourraient le parcourir, car ne sortant jamais de ma chambre et de mon canapé, les grands et les petits événements ne m’arrivent que par reflet et par conséquent d’une manière pâle et effacée” (166). Montcalm est une créature du privé. Elle n’est jamais témoin des événements de son époque, à moins qu’ils n’aient lieu dans son salon ou lors de conversations en groupes restreints. Elle rapporte ces événements, qu’elle apprend par la parole de ses invités ou par sa correspondance. Cette limite donne une double particularité à ce journal: bien qu’empêchant de décrire en tant que témoin, cette distance permet à la marquise de se constituer en analyste des événements, la distance forçant la réflexion. Elle se développe alors en tant qu’individu, fine interprète de son temps, aux opinions politiques claires qui cependant n’altèrent pas sa vision d’une situation politique complexe.
De ses amis et de ses rencontres, elle laisse des portraits précis et parfois piquants, qui viennent compléter le tableau des célébrités littéraires de l’époque. De sa rupture avec Chateaubriand, elle fait un récit de l’ambition politique de l’homme, prise plus de pitié que de rancune. De Mme de Genlis, elle s’étonne à la fois de sa grande activité et de sa simplicité, et après une première entrevue qui la déçoit, elle signale avec honnêteté dans une note ajoutée postérieurement que “les rapports plus multipliés que j’ai eus avec elle ont été tout à fait à son avantage” (302). Des dernières années de Mme de Staël, elle ne peut s’empêcher d’ironiser sur un esprit libéral “attachant beaucoup de prix à ce que sa fille soit duchesse” (207). Certes, Montcalm analyse, mais reste en grande partie le produit de son habitus noble.
Son infirmité doublée d’une santé maladive entraîne le défaut majeur de ce journal. En effet, la marquise ne peut soutenir son écriture sur de longues périodes, et les vides entre chaque passage donnent parfois un aspect décousu au texte, dont la marquise a une conscience aigüe, qui vient renforcer une souffrance physique et morale qui se découvre à chaque instant, enveloppée d’un voile de pudeur. Masquée bien qu’omniprésente, Montcalm ne décrit jamais les détails de son infirmité, et cette absence textuelle pourrait s’avérer d’un grand intérêt pour les spécialistes du handicap au dix-neuvième siècle. Car la souffrance motive la particularité de ce texte, et sans cette douleur, il ne serait qu’un parmi tant d’autres. Certes, Mon journal se veut un témoignage sur une époque, mais il est aussi le récit de la constitution d’un esprit de critique et d’analyse qui permet à la marquise d’exister malgré un corps défaillant.