Le Calvez on Flaubert, ed. Ogane (2016)
Flaubert, Gustave. Rêve d’Orient. Plans et scénarios de Salammbô. Édition et introduction par Atsuko Ogane, Librairie Droz, Textes littéraires français, 2016, pp. 237, ISBN 978-2-600-01895-1
Grâce à Atsuko Ogane, un grand vide vient enfin d’être comblé: avec son édition, tous les romans de la maturité de Gustave Flaubert ont leurs plans et scénarios visibles pour le grand public puisqu’il ne manquait que ceux de Salammbô pour compléter la liste des scénarios publiés. Chez Flaubert en effet les scénarios (d’ensemble et partiels) sont essentiels pour pouvoir déterminer la toute première genèse de l’œuvre, car c’est là que s’ébauche le récit en parallèle avec les tâtonnements de l’auteur, germination de scènes, mise ensemble ou déplacements des éléments narratifs, trouvailles successives, tous phénomènes récurrents dans les scénarios flaubertiens. Ils sont travaillés une partie après l’autre pour les scénarios d’ensemble (les parties disparaîtront) et, pour les scénarios partiels plus tardifs, un chapitre après l’autre avec une écriture plus serrée, comme le fait Flaubert depuis la rédaction de Madame Bovary. Ici sont édités quatre-vingt dix-huit folios (volume NAF 23662 de la Bibliothèque nationale de France [BnF]) classés par Ogane, comprenant: sept pages de titres, le résumé de l’Histoire générale de Polybe, onze plans et scénarios généraux, sept plans et scénarios d’ensemble, quinze plans et scénarios partiels, vingt-quatre folios de notes et de fragments de scénarios, vingt-deux folios de notes, neuf pages de résumés et deux pages de brouillons (qui ne devraient cependant pas figurer ici). Ogane a opté pour la présentation qu’avait choisie Yvan Leclerc pour les Plans et scénarios de Madame Bovary (1995), faisant figurer la transcription, diplomatique comme il se doit, en regard de son fac-similé. L’ensemble est suivi d’une annexe mettant en rapport un des folios de la Bibliothèque municipale de Rouen (Ms. g322 fo 2) avec le texte de Polybe et l’Histoire romaine de Michelet, d’un index et d’une bibliographie.
Dans son excellente introduction, Ogane s’attarde sur la genèse du roman, qu’elle fait remonter à un projet ancien resté inachevé (Anubis, “la femme qui veut se faire baiser par le Dieu,” comme l’écrit Flaubert; voir p. vii), présente la chronologie de la rédaction (xiii-xxi), insistant avec justesse sur les méticuleuses recherches de l’auteur qui devait faire preuve d’érudition pour écrire son roman (demandes de renseignements auprès de spécialistes susceptibles de l’éclairer et innombrables lectures). Elle présente ensuite le dossier (xxix-xxxiii) où l’on peut voir, par exemple, les variations du nom de l’héroïne (Pyra, Pyrha, Pyrrha, Phyrra, Hanna) ou de sa graphie une fois que le nom est trouvé (Sallambô, p. xxix ou Salambô, p. xxxi). On note aussi l’importance que Flaubert accorde, à l’origine du récit, à l’intime, ne pensant pas encore à “la coordination historico-amoureuse” (xxv) et la collaboration avec Louis Bouilhet, dont l’écriture se retrouve sur deux folios: “Ce qui a trait à la fatalité dans le roman est dû à la main de Bouilhet” (xxxviii). Ogane revient également sur le fameux chapitre explicatif (xxvi-xxviii) finalement abandonné par Flaubert, présente les scénarios d’ensemble (xxviii-xxix) et s’attache à la figure de Salammbô (xxix-xxxiii). Ensuite, l’analyse des documents de genèse explicite clairement le nouveau classement des folios, récapitulé sous forme de tableaux (xvi et xliii); ce classement semble mieux correspondre à la réalité de la genèse que ceux qui avaient été auparavant proposés (même s’il n’en diffère pas de manière fort significative). Enfin est détaillée la quinzaine de scénarios partiels (xlvi-xlviii), où l’on peut voir Flaubert se donner des injonctions, comme souvent: “Commencer par dire où ça se passe” (xlvi), ou trouver des associations symboliques: “danse de Pyrrha Sallamb., symbolique, astronomique,” avec cette remarque: “elle chante les aventures de Melcarth” (xlvii), même quand elles ne sont pas littérales, comme dans cette image liant implicitement Salammbô à Tanit: “Salambo. Tanach—clair de lune” (xlviii).
Si l’impression des fac-similés est en tous points remarquable, la présentation des transcriptions ne l’est pas moins. En effet, Ogane restitue exactement le texte de Flaubert sur le manuscrit original, ainsi que sa disposition quand il est penché et la manière dont il est raturé: simples traits verticaux ou obliques, croix diverses (voir par exemple pp. 76, 124, etc.); elle parvient même à reproduire de manière numérisée les traits courbes avec lesquels Flaubert relie ses corrections (60, 214, etc.), offrant ainsi un exemple parfait de transcription diplomatique. De plus, des notes au bas des transcriptions élucident les erreurs de Flaubert ou ses fréquentes abréviations.
Ce bel ouvrage représente donc un apport essentiel, non seulement pour les passionnés de Salammbô mais encore, plus généralement, pour l’avancée des études flaubertiennes.