Metzidakis on Breuil (2014)

Breuil, Eddie. Du Nouveau chez Rimbaud. Paris: Éditions Honoré Champion, Coll. Essais, 2014. Pp. 196. ISBN: 978-2-7453-2889-2

À partir du jeu de mots du titre, Eddie Breuil nous met sur une passionnante piste de recherche centrée sur la nature exacte de la collaboration entre Germain Nouveau et Rimbaud, et revoit d’un autre œil bon nombre des interprétations les plus influentes de ce corpus depuis plus d’un demi-siècle, surtout celles des Illuminations. C’est pour cela que Breuil a raison de conclure avec une citation de Louis Aragon sur la “peur que, dans le miroir de Nouveau, on n’aperçoive comment [les rimbaldiens] ont défiguré (ou transfiguré) Rimbaud” (167).

En analysant de près le fond et la forme des copies existantes des textes supposés contenus dans un colis livré par ce dernier à Verlaine en 1875, pour qu’il les fasse suivre à Nouveau en vue d’être publiés, Breuil avance l’audacieuse idée que Rimbaud fut moins l’auteur des Illuminations, que le scribe. Il construit cet argument en démantelant, dans la  première partie de son étude, la prétendue intégralité textuelle de cette soi-disant œuvre en démontrant une fois pour toutes qu’elle n’existe pas. Breuil insiste que le paquet en question ne contenait, au dire de Pierre Brunel,  qu’un “recueil inabouti auquel la postérité a voulu donner forme,” puis, ajoute que “son contenu est incertain, et même aucun manuscrit ne présente la mention ‘Illuminations’ (toutes les mentions du terme sur des manuscrits ont été apposées tardivement)” (61).

N’oublions pourtant pas qu’il fut un temps structuraliste, puis poststructuraliste, où l’on parlait plus de son langage que du “rôle joué par Rimbaud” ou du “poète face aux réalités,” comme le fait Breuil dans les deux prochaines sections éponymes de son livre. Pour de tels critiques (Todorov, Riffaterre, entre autres), il ne fallait pas que le monde extratextuel rentre dans l’analyse littéraire proprement dite. Or, c’est littéralement grâce au poids et au coût du colis que Rimbaud remet à Verlaine à Stuttgart que notre auteur en tire une conclusion cruciale: que ce paquet contenait un simple ensemble de poèmes en vers, de poèmes en prose, et de fragments, que quelqu’un devait réviser avant de donner le feu vert définitif à l’imprimeur. Aussi, s’inspirant de renseignements fournis par Jacques Bienvenu en 2009, ainsi que par Henry de Bouillane de Lacoste dans son édition de 1949, la première à poser ce “problème” des Illuminations, Breuil fait-il grand cas de quelques détails postaux: la somme de 2 fr. 75 que Verlaine s’est plaint d’avoir versé pour le colis, dont on estimait le poids entre 68,33 grammes et 91,66 grammes.

Du coup, Nouveau, d’une modestie presque pathologique, se voit transformé en acteur principal de la scène où se produisirent les Illuminations. Toujours est-il que dans la mesure où il servait à la fois de compagnon de route, de copiste et d’éventuel éditeur, Nouveau aurait mis plus que la seule main à la pâte. Et ce, sans qu’il en ait jamais rien dit. Pour sa part, dans une lettre publiée dans L’Éclair, le 25 octobre 1923, André Breton, exprime sa profonde admiration pour la participation hyper-modeste de l’ami de Rimbaud à ce projet, disant de lui qu’il “se moquait bien de voir attribuer telle ou telle chose à qui que ce soit, et à soi-même” (63).

Néanmoins, Nouveau semble bien avoir été responsable de beaucoup des “nouveautés” figurant dans ce texte, de certains mots énigmatiques comme “baou” dans “Dévotion,” que Breuil prend carrément pour un texte de Nouveau. Comme Roger Little et d’autres l’ont déjà constaté, ce substantif serait venu de la langue provençale que connaissait bien Nouveau. En revanche, un adjectif/néologisme comme “opéradique” dans “Nocturne vulgaire” serait né d’une simple copie visuelle fautive de la part de Rimbaud lorsqu’il s’était mis à recopier ce texte. Breuil distingue entre deux types d’erreurs de transcription, celles qui concernent les copies visuelles et d’autres, orales, produites par une simple incompréhension d’une dictée de vers. Cette distinction importe parce que la plupart des Illuminations ont “été copiées par Rimbaud et Nouveau, et n’ont été attribuées à Rimbaud que par la tradition “éditoriale, ainsi que par une lecture hâtive de témoignages de Verlaine considérés à tort comme des témoignages de première main” (94).

Breuil fait également observer que le curieux emploi du mot “éphémère” au début du poème “Ville” a beaucoup plus en commun, lexicalement et syntaxiquement parlant, avec l’idiolecte de Nouveau qu’avec celui de son ami. Il en est de même avec la juxtaposition thématique du deuil et de l’été dans “Ouvriers,” qui serait due à un drame familial vécu par Nouveau. Il étudie aussi différents mouvements d’écriture au niveau des “titres” et les textes qui y sont attachés, laissant planer le doute sur l’identité exacte de leur scripteur. Et lorsque Nouveau déclare dans une lettre personnelle avoir un certain projet “études” pour publication, Breuil note que “d’autres études (devenues les Illuminations) sont également mises au propre avec pour objectif probable la publication.” Cette coïncidence le pousse à se demander: “S’agirait-il du même corpus ?” (97).

Ensuite, Breuil examine les rapports nombreux entre la thématique et la terminologie des deux amis, décrivant l’utilisation similaire de mots et phrases dénotant ou connotant la peinture et le monde du théâtre. Évoquant le jardin Mabille à Paris, Breuil montre l’importance des lieux populaires contemporains dans l’imaginaire des deux hommes. Éminemment féeriques et aptes à exciter l’imagination visuelle de tout visiteur, ils représentaient une riche source de leurs imageries respectives. Félicitons alors Eddie Breuil d’avoir résolu une bonne partie d’un  problème majeur de cette œuvre rimbaldienne et soulevé dramatiquement un autre: celui de sa paternité véritable.

Stamos Metzidakis
Washington University in Saint Louis
Volume 44.3-4