Masson on Robardey-Eppstein and Naugrette, eds. (2016)

Robardey-Eppstein, Sylviane, and Florence Naugrette, éditrices. Revoir la fin: dénouements remaniés au théâtre (XVIIIeXIXe siècles). Classiques Garnier, 2016, pp. 547, ISBN 978-2-8124-5101-0

Les trente textes rassemblés dans ce volume ont été présentés à un colloque international qui s’est tenu à l’université d’Uppsala en 2013. Dans sa remarquable introduction (9–45), Robardey-Eppstein explique que la fin d’une pièce “est particulièrement appropriée pour saisir, à travers elle, les états transitoires et les métamorphoses des textes et des représentations, et en soupeser ainsi les implications susceptibles d’éclairer certains pans de l’histoire du théâtre, en France et ailleurs en Europe, sur deux longs siècles rarement appréhendés conjointement et dans leur unité” (12). Cette approche se révèle d’autant plus judicieuse qu’elle permet d’envisager “aussi bien ce que les changements de dénouement doivent aux réécritures (et l’inverse), que d’étudier, dans leurs stratifications et leurs transformations, les diverses options scripturales et scéniques retenues ou abandonnées pour la clôture des pièces, ainsi que leurs incidences sur le texte, sur la représentation et la réception” (12). Dans le second volet de l’introduction, Pierre Frantz propose quelques réflexions sur le dénouement “classique” (47–66), à l’issue desquelles il affirme que “le problème du dénouement et celui de la fin, celui de la clôture et celui de la répétition déterminent le drame et l’ont toujours secrètement sapé” (66).

La première partie, “Modifier le dénouement pour la création,” est subdivisée en deux sections. Dans la première section intitulée “L’auteur sur le métier remettant son ouvrage,” Renaud Bret-Vitoz analyse “[l]es dénouements d’Antoine-Marin Lemierre à l’épreuve de la scène (1758–1791)” (69–85), et Sophie Marchand ceux du Déserteur de Louis-Sébastien Mercier pour en souligner les enjeux idéologiques et esthétiques (87–98). Florence Naugrette expose le retravail esthétique et l’infléchissement politique des dénouements de Victor Hugo (99–110) tandis que Violaine Heyraud propose une analyse du troisième acte de L’Hôtel du Libre-Échange de Georges Feydeau pour exhiber les “(dé)réglages rythmiques de la ‘pièce bien faite’” (111–24). Olivier Goetz, dans un fascinant article (125–38), saisit le sens et l’importance des variantes de fin dans une pièce sociale et autobiographique, Le Repas du lion (1897) de François Curel (1854–1928), auteur qui ne cessa jamais de retoucher ses œuvres. Goetz parle de la collaboration entre Curel et le metteur en scène André Antoine. Mickaëlle Cedergren présente la réécriture du religieux dans deux drames mystiques d’August Strindberg, Avent (1898) et Crime et Crime (1899) (139–53).

La seconde partie, consacrée au dénouement et à la création, est intitulée: “Remaniements imposés ou consentis.” Logan J. Connors analyse la question du patriotisme dans les deux dénouements de la tragédie Le Siège de Calais (1765) de Pierre de Belloy et souligne le rôle de la censure dans la réécriture de fins de pièce (157–68). Dans la même veine, André Leblanc décèle l’effet de la morale sur les changements au dénouement dans Le Séducteur (1783) d’un auteur ouvertement réactionnaire, le Marquis de Bièvre (169–81). Stéphane Arthur compare les deux dénouements du Bourgeois de Gand (1838) d’Hippolyte Romand et Alexandre Dumas père, et décrit comment ces pièces illustrent la révolution romantique sur scène (183–96). Patrick Berthier évoque Honoré de Balzac, auteur de théâtre, et argue que “tous les cas de figure du dénouement remanié sont illustrés” (210) dans son œuvre dramatique; remaniements avant création et posthumes (197–211). Jean-Claude Yon met en lumière les réécritures par la censure des dénouements de pièces d’“une gloire littéraire très oubliée” (213), Émile Augier (213–25). Marie-Pierre Rootering analyse les quatre dénouements du Supplice d’une femme d’Alexandre Dumas fils et Émile de Girardin et met ainsi en évidence “deux conceptions du vrai au théâtre” (227–45). Hélène Laplace Claverie se focalise sur la réécriture de la fin du Lorenzaccio de Musset par Armand d’Artois en 1896 qui, ce faisant, prouve que Musset n’est pas un homme de théâtre (247–57).

La seconde partie du volume “Autre temps, autre lieu, autre genre” est subdivisée en trois points. Dans le premier, “Réécritures d’une histoire, d’un mythe,” Michèle Sajous d’Oria nous fait découvrir Voltaire et Stendhal adaptateur du roman de Madame de Fontaines, La Comtesse de Savoie, texte qui s’inspire de La Princesse de Clèves (261–73). Barbara Cooper présente les adaptations de la tragédie Jane Shore (1714) de Nicolas Rowe par François Andrieux et Népomucène Lemercier (278–89). Dans les dénouements différents proposés dans les années 1820 par ces auteurs, Cooper voit “une manifestation de l’évolution théâtrale qui va amener sur le devant de la scène des tragédies privées et un jeu plus physiquement concret” (289). Georges Zaragoza présente deux réécritures de Don Juan. Il s’attache plus particulièrement à la résolution de la question de la rédemption ou non du héros éponyme par Alexandre Dumas père et José Zorrilla, auteur espagnol (291–306). Angeliki Giannouli s’intéresse au dénouement des tragédies de l’antique au XIXe siècle et plus spécialement au cas des Atrides et conclut que la punition des coupables “répond aux exigences idéologiques, politiques et morales du XIXe siècle” (307–17).

Dans le deuxième point, “Formules (trans-)génériques,” Judith Le Blanc nous fait voir quatre grands types de changements de dénouement dans le corpus de la tragédie musicale, genre créé par Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault en 1672 (307–17). Sylviane Robardey-Eppstein démontre que “les variations finales dans le mélodrame offrent une image moins rigide de la formation et de la représentation du genre” (355). Cette étude remet donc en question les clichés qui accompagnent le mélodrame (337–55). Vincenzo de Santis se focalise sur les modifications du Pinto, ou la journée d’une conspiration de Népomucène Lemercier entre 1798 et 1834 (357–72). Noémi Carrique entreprend la complexe étude des réécritures des dénouements du Schicksalsdrama entre 1810 et 1827, et dévoile que celles-ci modifient profondément les enjeux idéologiques et dramatiques des pièces, en analysant trois réécritures du Vingt-quatre février de Zacharias Werner (373–91). Marianne Bouchardon montre qu’en changeant le dénouement de sa pièce Justice (1877), Catulle Mendès a sauvé “in extremis son drame du four auquel il était manifestement condamné” et qu’il en a donc changé la réception, l’enjeu et la portée (393–404).

Dans le troisième point, “Autres publics, fins nouvelles,” Anna Swärdh (407–24) se focalise sur les réécritures de la fin de Roméo et Juliette, Le Roi Lear et Macbeth de Shakespeare par David Garrick respectivement en 1748, 1773 et 1774 (407–24). Florence Filippi consacre son analyse aux imitations de dénouements shakespeariens par Jean-François Ducis et l’utilisation qu’il a faite de l’égocentrique acteur Talma pour “sortir des formes connues” et bouleverser les codes classiques (425–38). Après avoir souligné l’enthousiasme que suscita la domestic tragedy auprès de Diderot, Marc Martinez souligne les enjeux de l’adaptation de ce genre pour un public français entre 1760 et 1790 (439–52). Gianni Iotti présente le dénouement de Zaïre de Voltaire dans les traductions et les adaptations italiennes (453–65) tandis que Maurizio Melai passe en revue les principaux drames de Schiller adaptés à la scène française sous la Restauration afin de voir comment les poètes tragiques français en ont réélaboré les dénouements pour les rendre conformes à l’éthique et à l’esthétique classiques en France (467–76). Romain Piana se concentre sur les implications idéologiques des “corrections” apportées aux dénouements d’Aristophane dans quelques adaptations françaises du XIXe siècle (477–90), Marthe Segrestin révèle que des directeurs, des acteurs et des dramaturges un peu partout en Europe ont dénaturé le dénouement tragique d’Une maison de poupée d’Henrik Ibsen afin que la pièce cadre mieux avec les catégories dramatiques en vogue; la visée tragique voulue par Ibsen est alors effacée (491–504).

Dans ce très riche volume, il est bien “question de changements de ou au dénouement, c’est-à-dire des ‘corrections’ qui le remettent en question ou simplement l’entourent” (15). L’ensemble des articles portent en effet “à réfléchir aux relations entre réécriture et fin, et entre révision du texte et re-vision (sic) du spectacle” (15).

Catherine Masson
Wellesley College
Volume 46.1–2