Gaulin on Renan, ed. Gasnier (2008)
Renan, Ernest. Correspondance générale. Tome III: octobre 1849-décembre 1855. Ed. Maurice Gasnier. Paris: Éditions Honoré Champion, 2008. Pp. 913. ISBN: 978-2-7453-1761-2
Renan, Ernest. Correspondance générale. Tome III: octobre 1849-décembre 1855. Ed. Maurice Gasnier. Paris: Éditions Honoré Champion, 2008. Pp. 913. ISBN: 978-2-7453-1761-2
Morgan Gaulin, The Canadian Center for German and European Studies
Ernest Renan fut professeur au Collège de France, passeur en France de la grande science philologique allemande venue de Franz Bopp (1791-1867), de Max Müller (1823-1900) et de Heymann Steinthal (1823-89), exégète de la Bible, sémitisant infatigable et critique de Hegel. Auteur, enfin, d’une thèse sur Averroès et l’averroïsme qu’il publie en 1852. Le tome II de la Correspondance générale publié en 1998 débutait en 1845 et s’arrêtait le 23 octobre 1849. Le tome III s’ouvre le 29 octobre de la même année et s’achève le 30 décembre 1855.
Ce troisième tome contient tout près de 500 lettres dont 182 sont inédites. Ces lettres font état du voyage aux quatre centres littéraires qu’il a visités à Rome, Naples, le Mont-Cassin et Florence en Italie ainsi que de la préparation de nombreux travaux scientifiques. La visite de Renan à la bibliothèque Laurentienne à Florence retient l’attention puisqu’il y consulte un manuscrit d’Ibn Roschd dit Averroès. Le caractère précieux de ce manuscrit d’origine marocaine tient à ce qu’il est rédigé en langue arabe et non en traduction hébraïque ou latine; de plus, il contient un commentaire sur les cinq parties de l’Organon d’Aristote, sur la rhétorique ainsi que sur la poétique. Autre fait notable pour le travail sur Averroès: Renan découvre à Pise dans l’Église Sainte-Catherine un tableau de Francesco Traini, Les Disputes de Saint Thomas daté de 1340 qu’il commente dans son essai sur Averroès. Renan y remarque dans sa lettre la position assignée à Averroès: dans l’Enfer, couché, entouré de serpents et rangé parmi les hérétiques et qui lui fait conclure qu’à cette époque l’averroïsme était devenu synonyme d’incrédulité (211).
À Reinhardt Dozy, orientaliste hollandais qui suivit les cours de Weyers et d’Étienne Quatremère, Renan signale le 4 mars 1852 que pour son Averroès il a fait appel à l’édition Dozy d’Abd-el-Wahid el Marrakeschi, un historien du XIIIe siècle. Toujours à Dozy, le 14 mai 1852 et cette fois de Paris, Renan mentionne le Commentaire d’Averroès sur la République de Platon en précisant qu’il en existe selon lui une copie dans les bibliothèques des Pays-Bas (567) puisque Renan pense qu’il se publia à Venise entre 1480 et 1570 au moins dix ou douze éditions d’Aristote accompagnées des commentaires d’Averroès qui se sont, affirme-t-il, beaucoup répandus en Europe et qui seraient disponibles dans l’une des éditions latines des œuvres d’Averroès. Renan renvoie alors Dozy à Fabricius et à Hoffmann chez lesquels il y a des indications sur les éditions qui sont réellement accompagnées des commentaires. Johann Albert Fabricius auquel Renan fait allusion dès le 28 novembre 1849 dans une lettre à Alfred Maury est un théologien protestant allemand, philologue, bibliographe et professeur à Hambourg. Fabricius est l’auteur d’une importante Bibliotheca latina (1696) et d’une Bibliotheca graeca (1705-28) ainsi que l’éditeur d’auteurs antiques tels que Dion Cassius et Sextus Empiricus.
L’historien allemand Christian Gottfried Hoffmann (1692-1735) quant à lui a produit une Nova scriptorum (1731-33) que cite Renan. Fabricius a mis sur pied des outils de travail importants pour les philologues. Renan en fait grand usage et va même jusqu’à en remarquer les limites comme dans sa lettre du 15 février 1850 à Félix Esquirou dans laquelle il souligne, alors qu’il se trouve à Rome, que la Bibliothèque du Vatican possède un texte syriaque intitulé le Testament d’Adam, qui est en fait un texte grec apocryphe apparenté au Testament de Salomon et qui contient des détails pour l’histoire des origines du christianisme et que Fabricius n’a pas répertorié. Toujours dans cette lettre à Dozy, Renan donne un avant-goût de sa thèse sur Averroès; il y questionne, dit-il à Dozy, le terme de philosophie arabe, qui fait problème. Écrite en langue arabe, certes, cette philosophie n’en est pas pour autant arabe puisque son origine serait, selon Renan, persane.
Enfin, ce tome trois nous fait connaître un personnage crucial dans l’histoire de l’orientalisme. Reinhardt Petrus Anna Dozy (1820-83), historien et orientaliste hollandais avec qui Renan correspond, a publié, entre-autres choses, des Notices sur quelques manuscrits arabes de 1847 à 1851 à Leyde et auxquelles Renan fait référence dans sa lettre du 24 juin 1851. Ce troisième tome nous offre donc des documents de toute première main et nous permet de mesurer l’énergie déployée par le jeune étudiant pour mener sa thèse à terme de même que ses principales sources de documentation. Notons aussi que les soigneuses annotations de Maurice Gasnier sont pour cela des plus précieuses.