Schreier on Noël (2011)

Noël, Erick, ed. Dictionnaire des gens de couleur dans la France moderne: Paris et son bassin. Entrée par localité et par année (fin XVe siècle-1792), Paris suivi des provinces classées alphabétiquement. Genève: Librairie Droz S.A., 2011. Pp. 578. ISBN: 978-2-600-01507-3

Erick Noël et ses dix-neuf collaborateurs présentent ici un travail remarquable sur les gens de couleur ayant vécu en métropole sous l'Ancien Régime. Cette étude est d'autant plus la bienvenue que cette population de "Noirs d'Afrique et des Iles, Indiens d'Asie ou du Nouveau Monde, et mulâtres et métis jusqu'à la seconde génération" (XV) n'avait jamais été répertoriée de manière exhaustive. Ce dictionnaire sera utile aux chercheurs s'intéressant aux questions de migration, de race et d'esclavage. Il fascinera aussi ceux à la recherche de pistes à explorer, qui découvriront les traces d'individus immortalisés en quelques lignes, telle la cinquantaine d'Indiens employés en 1785 dans une toilerie champenoise; telle Gotton, née à l'Artibonite, qui en 1773 survit à un naufrage, échappe aux Anglais qui la retiennent un temps en vertu du droit de varech, puis obtient de l'Amirauté de France sa mise en liberté ainsi que des dommages et intérêts; telle Jeanne Odo, qui à l'âge de 114 ans milite pour l'abolition de l'esclavage à la Convention; ou encore Euphémie, gouvernante des Beauharnais, qui abrite chez elle la reine Hortense pendant les troubles de 1815. Le volume intéressera les dix-neuvièmistes curieux d'en apprendre plus sur une migration forcée qui a laissé des traces démographiques notables en France après 1792. Il contribuera certainement à former une idée plus juste du dix-neuvième siècle francophone.

Une courte introduction précède 3087 notices présentées par région (Paris, l'Ile-de-France et la Normandie étant les plus riches d'informations) et organisées chronologiquement. Les documents les plus anciens datent de la fin du XVe siècle, les plus récents de 1831, ces derniers étant inclus parce qu'ils concernent des gens qui vivaient déjà en métropole avant 1792. Huit illustrations, une section consacrée aux sources et à une bibliographie succincte, et deux index (un pour les gens de couleur, un pour les maîtres) complètent l'ouvrage. Le lecteur appréciera des notices spéciales en italiques qui, sans déroger au principe organisateur de l'ensemble, permettent d'identifier des individus passés à la postérité. Les dix-neuvièmistes regretteront peut-être l'absence de sections détaillées dédiées à la cantatrice Caroline Branchu et à Ourika, mais apprécieront celles consacrées au chevalier de Saint-George et à Zamore, que Balzac et Dumas, entre autres, ont remis à la mode, ainsi qu'au général Dumas et au peintre Lethière.

Ce projet complexe est le fruit d'un travail d'une ampleur considérable, mené dans des archives départementales, municipales, paroissiales et notariales, ainsi que dans les archives de l'Armée et de l'Amirauté. Il présente l'intérêt d'illustrer comment ces premières migrations ont été peu à peu réglementées dans un contexte colonial. Il permet également de dresser un portrait d'une domesticité noire (faite de perruquiers, de cuisiniers, de tonneliers, mais aussi de maîtres de danse et de musiciens) bénéficiant en métropole de l'émancipation garantie par le sol et résistant parfois à un renvoi non-consenti aux colonies. Ce volume revoit enfin à la hausse le nombre de gens de couleur ayant vécu en métropole avant la Révolution, l'estimant à plus de 15000 (deux autres tomes devraient fournir plus d'informations à ce sujet, notamment à propos de la Bretagne et du Midi). Cette nouvelle estimation suggère que cette population de couleur était aussi importante que celle de la Grande Bretagne à la même époque.

On s'étonnera de ce que les excellentes publications de Noël et de Sue Peabody (pourtant l'une des contributrices) ne soient pas mentionnées dans le volume. Noël a en particulier proposé ailleurs une analyse des données présentées ici, et soulevé le problème de leur solidité statistique. Il aurait par ailleurs été intéressant d'inclure un index des provenances. Ces omissions ne dévaluent cependant pas un travail admirable.

Lise Schreier
Fordham University
Volume 42.1-2