De Haro on Peyrebrune éd. Socard (2017)

Peyrebrune, Georges de. Les Ensevelis, suivi d’une présentation de Jean-Paul Socard. Par ailleurs, 2017, pp. 430, ISBN 979-10-93712-20-8

Dans l’après-midi du 25 octobre 1885, un bruit de tonnerre alarme les habitants de Chancelade en France. Les carrières se sont effondrées! Ils se précipitent vers le lieu du désastre en quête de survivants et bientôt les premiers cadavres sont découverts. On apprend alors que cinq mineurs se trouvaient ce jour-là à l’intérieur d’une des galeries, s’étant mis à l’abri de l’éboulement. Dans les jours qui suivent, on croit entendre des coups, on voit s’échapper des fumées; l’espoir de retrouver vivants les ensevelis anime les cœurs. Toutes les issues ayant été bloquées, on entreprend de forer un puits censé mener jusqu’à eux. Toutefois, les démarches officielles tardent, l’administration et les propriétaires des carrières posent des entraves au sauvetage et les travaux n’avancent que trop lentement faute d’un outillage approprié. On n’atteindra les malheureux que près de dix mois plus tard.

La romancière Georges de Peyrebrune, originaire de cette région, jouissait à l’époque d’une certaine renommée à Paris grâce à la publication de quelques romans à succès, comme Marco (1881), qui lui avaient valu le respect du monde littéraire. Au moment de l’effondrement, Peyrebrune se trouvait en villégiature dans sa maison des Meulières, tout près du lieu de la catastrophe. Elle agit en “journaliste” pour la Revue bleue en reportant les faits dans un article. L’ampleur de la tragédie la secoue, le comportement négligent de l’administration l’indigne. Dès les premiers instants, elle se solidarise avec les familles des victimes et leur offre une aide et un soutien désintéressés. C’est là que l’écrivaine commence à écouter les témoignages des ouvriers; elle les encourage alors à hausser la voix pour dénoncer des irrégularités dans l’exploitation des carrières et critique durement, pour sa part, la mauvaise gestion du sauvetage.

Le temps passe, les gens du village reprennent bon gré mal gré leur vie quotidienne et l’attention de la presse se tourne vers d’autres questions. Cependant, Peyrebrune ne permettra pas que l’affaire tombe dans l’oubli. Soucieuse de rendre justice à la vérité, elle construit un drame social et humain inspiré des faits dont elle a été témoin, sans renoncer pour autant à l’axe thématique de l’amour, qui domine l’ensemble de son œuvre littéraire, et à sa volonté inébranlable de peindre la condition féminine. La romancière conçoit ainsi une histoire d’amour impossible, laquelle se termine par un dénouement heureux, grâce, paradoxalement, au tournant inattendu que prennent les vies des protagonistes à la suite de la catastrophe.

En 1887, quelques mois à peine après avoir été publié sous forme de feuilleton dans La Vie populaire, Les Ensevelis paraît chez Ollendorff. Le volume connaît un grand succès, il est réédité à plusieurs reprises. La qualité de cette œuvre—dont l’auteure commence à susciter un intérêt nouveau chez les chercheurs—n’a pas non plus échappé de nos jours à la jeune maison d’édition régionale Par ailleurs, chargée de la réimpression du volume. Ayant pour premier objectif de mettre en valeur les auteurs, le patrimoine et les paysages de Dordogne, ses fondateurs ont trouvé le moyen, avec cette nouvelle édition, à la fois d’honorer le talent d’une écrivaine longtemps ignorée et de remémorer un épisode important de l’histoire de leur région. Pour y parvenir, l’ouvrage compte sur une présentation de Jean-Paul Socard, auteur entre autres de l’étude biographique et critique Georges de Peyrebrune (1841–1917): itinéraire d’une femme de lettres, du Périgord à Paris (Arka, 2011).

Dans sa présentation des Ensevelis, Socard, chercheur méticuleux, aborde l’analyse des aspects littéraires de l’œuvre autant que l’exposé de renseignements concernant l’événement historique servant de cadre au roman. Il rend compte ainsi de la structure du récit et du traitement du temps; des thèmes principaux, à savoir l’amour et la nature; du caractère de chacun des protagonistes et du triangle amoureux qu’ils forment, ainsi que du style de l’auteure, caractérisé notamment par la “recherche d’authenticité et de couleur locale” (305). Socard fait de même une brève allusion à l’influence sur Peyrebrune d’Émile Zola, et tout spécialement de Germinal, paru deux ans auparavant. Sujet fort intéressant, car la participation des femmes au mouvement naturaliste n’a pas encore été étudiée en profondeur; une analyse plus développée aurait donc été pertinente. Il dresse en revanche un rapport très complet et magnifiquement documenté des éléments de l’histoire relevant de la réalité, de façon à démontrer à quel point l’auteure tenait à “mêler vérité et fiction” (269). Le lecteur trouvera aussi de quoi satisfaire sa curiosité grâce à la richesse des annexes, qui incluent des documents divers: par exemple, le dessin d’un ingénieux appareil photographique conçu spécialement pour être descendu à travers un trou de forage et prendre des vues des galeries inaccessibles; ou l’article intitulé “Les Cadavres de Chancelade,” paru dans Le Temps en mai 1886, qui alimentait la curiosité malsaine de l’opinion publique par des rumeurs d’anthropophagie chez les ouvriers ensevelis.

Les Ensevelis est enfin un roman qui “plaira aux lecteurs pour de multiples raisons” (8), comme le signale Margot Irvine dans la préface. En effet, Peyrebrune y retrace une partie de l’histoire et de la culture du Périgord, ce qui captivera sans doute les amoureux de cette région. Les historiens, les sociologues et les féministes découvriront quant à eux des exemples de la précarité du travail des ouvriers dans les carrières ainsi que de la condition des femmes issues de la classe ouvrière. Les spécialistes en littérature pourront y voir des pistes de recherche très intéressantes, tel le naturalisme au féminin. Finalement, les passionnés de beaux livres découvriront une histoire captivante qui combine “dans une même évocation dramatique souffrance humaine et tourment du cœur” (270).

Il ne reste plus qu’à attendre que la louable initiative des éditions Par ailleurs ouvre la voie à de nouveaux projets de réédition, pour faire redécouvrir de tels trésors du patrimoine littéraire français et pour tirer de l’oubli des auteurs et auteures qui, comme Peyrebrune, ont été injustement effacés de l’histoire de la littérature française.

Lydia de Haro Hernández
Universidad de Murcia
Volume 46.3-4