De Haro on Socard (2011)

Socard, Jean-Paul. Georges de Peyrebrune (1841–1917): itinéraire d’une femme de lettres, du Périgord à Paris. ARKA, 2011, pp. 240, ISBN 978-2-35669-036-4

Depuis les années 1970, l’intérêt à l’égard des études portant sur les femmes de lettres s’est progressivement développé. Mais nombre de leurs œuvres se trouvent encore au fond de quelque archive inexplorée, en attendant d’être redécouvertes par un chercheur audacieux—ce qui n’est plus le cas de Georges de Peyrebrune, laquelle pourrait se dire aujourd’hui, en quelque sorte, une auteure comblée, en grande partie grâce au travail de Jean-Paul Socard.

Georges de Peyrebrune (1841–1917) est le résultat d’une recherche menée avec soin, minutie et rigueur qui, au-delà du simple récit biographique, constitue une source inépuisable de données sur l’auteure et son œuvre, sur la société de son époque et les femmes de lettres de cette période. Socard retrace ainsi non seulement l’itinéraire parcouru par la romancière au cours de sa carrière, mais aussi son évolution intérieure, c’est-à-dire les transformations opérées chez une jeune femme originaire de la province et mariée, qui s’installe seule à Paris pour devenir une femme de lettres. Publié en 2011, l’ouvrage de Socard est désormais incontournable pour les études peyrebruniennes, qui comptent également les contributions pionnières de Nelly Sanchez et Michael Finn, ainsi que celles plus récentes de Margot Irvine et Sharon Larson.

Le volume est structuré en cinq grands chapitres précédés d’une introduction de l’auteur et suivis de la transcription d’une série de “morceaux choisis” servant à illustrer des aspects fondamentaux de l’œuvre de Peyrebrune. Socard dresse ensuite une liste très complète des ouvrages publiés dans la presse ou parus en volumes indépendants, ainsi que de la correspondance reçue par l’auteure—celle-ci ayant été élargie plus récemment par d’autres chercheurs, à la suite du classement de documents appartenant au fonds de la Bibliothèque municipale de Périgueux, qui n’avaient pas encore été répertoriés au moment de la parution du volume. Un dossier d’annexes contenant principalement des reproductions de lettres, une bibliographie générale—qui aurait pu être accompagnée d’une bibliographie spécifique des références figurant exclusivement dans les notes en bas de page, pour en faciliter la consultation—et un index des noms propres viennent clore l’étude de Socard.

C’est tout le long des cinq chapitres principaux que les facettes diverses de la personnalité et de l’œuvre de Peyrebrune se dévoilent petit à petit au lecteur. Du premier chapitre, dédié notamment aux origines de la romancière et à ses rapports familiaux, se dégage l’image d’une femme qui porte sa vie durant la marque douloureuse du rejet de son père et de sa maternité frustrée. Dans le chapitre qui suit, Socard continue de dresser le portrait de la femme et de l’écrivaine en s’appuyant sur des photographies, des dessins et des tableaux, ainsi que sur des articles signés par des auteurs contemporains de Peyrebrune. Il ne faut pas négliger par ailleurs les clés apportées par l’une de ses plus proches consœurs, Rachilde, dans son roman Le Mordu, dont l’héroïne est inspirée de Peyrebrune; et par les évocations que la romancière fait de sa propre expérience dans ses romans les plus autobiographiques, Le Roman d’un Bas-bleu et Une Sentimentale—auxquels il aurait fallu ajouter Une Séparation.

Le troisième chapitre s’intéresse aux obstacles et aux injustices rencontrés par les femmes de lettres dans le champ littéraire—un monde traditionnellement dominé par les hommes—et que Peyrebrune dut affronter elle aussi, armée de son talent, de ses efforts et du soutien désintéressé “de quelques enthousiastes” (83), parmi lesquels on rencontre des personnalités importantes des sphères politique, littéraire et sociale de l’époque.

Le quatrième chapitre est à notre avis l’un des plus riches et intéressants de cette étude. Il livre la pensée d’une auteure intelligente et érudite—chose étonnante chez une femme issue de la moyenne bourgeoisie provinciale—, très cultivée dans les domaines de la littérature et des arts, attirée par les sciences occultes et intéressée par les progrès et les découvertes médicales de son temps, notamment par les questions de l’hérédité, du conditionnement par la suggestion et l’hypnose ou du traitement de l’hystérie. De conviction républicaine et fermement opposée “aux idéologies d’exclusion” (120), Peyrebrune se révèle en outre une écrivaine combative et engagée pour les causes qu’elle croit justes: elle prit parti auprès des dreyfusards dans l’affaire qui bouscula le pays, se déclara contre la peine de mort et lutta à travers ses textes contre les injustices faites aux femmes. Elle fit pourtant preuve d’un féminisme assez particulier, relevant “d’un bilan personnel, d’une révolte, ainsi que du désir de contribuer à l’émancipation générale de la femme” (88) plutôt que d’un engagement militant. Cela ne l’empêcha pas toutefois de céder à des contradictions manifestes, dans des déclarations et des prises de position éminemment conservatrices sur certains aspects concernant la liberté des femmes, tels le droit de vote ou tout simplement l’adoption de nouvelles modes vestimentaires. Là encore, Socard montre avec beaucoup de pertinence, et sans tomber dans le piège des jugements de valeur, les différents versants d’un esprit ambivalent, constamment partagé entre modernité et passéisme.

Finalement, l’auteur dédie le dernier chapitre aux “écrits et écritures” de Peyrebrune. Il désigne ainsi les auteurs dont elle a subi l’influence, Gustave Flaubert et Émile Zola notamment, explore sa conception de l’acte d’écriture comme travail méticuleux à la manière “d’un artiste, voire d’un artisan” (159) et présente une œuvre où confluent des formes narratives multiples, des tons et des styles très variés, des catégories génériques différentes ainsi que des titres de qualité variable. Il s’agit, en peu de mots, d’une œuvre vaste et diverse, que l’auteur assimile, dans un élan poétique, à “un jardin dans lequel une végétation baroque et irritante cache des plantes fortes et belles ou délicates et gracieuses” (172).

En somme, Jean-Paul Socard a su nous offrir une étude fondée sur des renseignements pertinents et un travail rigoureux. Il rejoint ainsi la toute récente et encore trop petite liste de chercheurs s’étant attaqués à tirer Georges de Peyrebrune de l’oubli où elle était tombée et devient, avec ce livre, un point de départ obligé pour quiconque travaille sur cette romancière périgourdine, de même qu’une référence incontournable pour tout chercheur s’intéressant au XIXe siècle et à l’histoire des femmes de lettres. 

Lydia de Haro Hernández
Universidad de Murcia
Volume 46.3-4