La Tunisie dans l'imaginaire politique de Flaubert
En écrivant un roman sur Carthage (Salammbô), cité perdue et encore peu connue faute de fouilles archéologiques, Flaubert prend ses distances par rapport aux conceptions rationalistes de l'histoire qui se développent à partir du XVIIIe siècle puis surtout au XIXe siècle. Il représente une civilisation disparue dont le présent ne provient pas, mettant ainsi au jour les discontinuités de l'histoire alors que les pensées dialectiques se multiplient à son époque. Salammbô n'est pas un roman historique mais un roman sur l'histoire, sur ses représentations. La Tunisie antique est un espace critique, un espace révélateur non parce que Flaubert y projette le présent mais parce qu'il fait apparaître l'illégitimité des représentations historiques et politiques de son temps. Une pensée critique (mais implicite) est donc à l'œuvre dans le roman. Explicite dans la Correspondance et les avant-textes du roman (en particulier dans le chapitre explicatif que Flaubert voulait placer au début du roman, avant de renoncer à sa publication) elle s'efface au cours du travail mais se réinscrit dans l'organisation des événements, au niveau de la poétique du roman. Flaubert réussit alors un coup de force: il donne à sa pensée apolitique de l'histoire l'apparence – et seulement l'apparence – d'une vérité naturelle et impersonnelle, l'illusion qu'on peut – si on le veut – échapper au politique. Œuvre contre la politique, comme le sera aussi d'une autre façon L'Education sentimentale, Salammbô montre néanmoins la prégnance du politique non seulement dans la pensée de Flaubert (repérable au stade de la genèse) mais aussi dans la poétique de l'œuvre. (In French) (GS).