Hennessy on Lumbroso (2013)
Lumbroso, Olivier. Zola autodidacte: genèse des œuvres et apprentissages de l’écrivain en régime naturaliste. Geneva: Droz, 2013. Pp. 423. ISBN 978-2-600-01718-3
“Je puis dire que je me suis formé seul et je pense que c’est là le meilleur système,” dit Émile Zola dans La Revue Blanche en 1902. C’est à partir de cette devise que Lumbroso retrace l’apprentissage littéraire de Zola. Dans le but de savoir si on peut apprendre à devenir écrivain, l’auteur propose une étude des avant-textes zoliens afin de dévoiler “un héritage rhétorique fécondé par le talent de l’artiste…” (31). Ainsi, il nous présente l’autodidaxie de Zola comme une sorte de laboratoire d’écriture où se synthétisent ses expériences en tant que chroniqueur et critique de la littérature et de la peinture de son temps. Selon Lumbroso, “l’autodidaxie [chez Zola] est à l’intersection de la création littéraire et de l’identité sociale” (52). Chaque stade de sa vie joue un rôle dans l’élaboration d’une esthétique particulière: que ce soit l’échec au baccalauréat ou son éducation mondaine à Paris, Zola en profite pour sa formation intellectuelle.
L’étude est répartie selon les étapes de création de l’oeuvre. Le premier chapitre, largement biographique, raconte l’apprentissage vécu par Zola dans son emploi chez Hachette, ses rencontres avec les grands noms de la pensée moderne, et ses premières tentatives d’écrivain avec Les Contes à Ninon, La Confession de Claude et Thérèse Raquin. Sa formation principale vient des tâches imposées par son travail de critique littéraire; dans la mesure où Zola devait juger l’efficacité des procédés littéraires de ses contemporains, il a ainsi pu développer son propre système d’écriture, se concentrant sur l’efficacité des structures romanesques qu’il retrouvait dans les oeuvres critiquées.
Dans les chapitres suivants, Lumbroso plonge le lecteur dans une analyse minutieuse des dossiers préparatoires afin de faire comprendre la complexité du processus créatif chez Zola. Le but: “suivre l’actualisation du capital autodidactique dans le cadre cyclique de l’écriture des Rougon-Macquart” (124). Le deuxième chapitre présente les dossiers à la fois comme instrument et méthode de travail dans lesquels Zola amasse des “choses vues” et des “choses sues” pour faire ce que le romancier appelle la “sociologie pratique” (128). L’élaboration des dossiers crée une souche dont l’écriture découlera; c’est ce qui permet à Zola d’inventer un métalangage qui se développe au fil du cycle.
Le chapitre trois tente de montrer comment le métalangage de Zola permet la construction des macrostructures dans le cycle des Rougon-Macquart. Lumbroso en fait une analyse détaillée selon les schémas appliqués par Zola (aristotélicien, alternatif, couches continues, catastrophiste, cyclique). Ce chapitre souligne les variations infinies qui deviennent possibles avec cette méthode de travail. “Ce modèle sériel… Zola l’a donc déplacé vers la composition narrative de l’oeuvre…. Le systématisme s’étend et se renforce” (299).
Le dernier chapitre revient à la vie personnelle de Zola pour accentuer l’autoréflexivité et les phantasmes dont les romans sont inévitablement imprégnés. La mise en scène de l’écrivain Sandoz dans l’Œuvre, par exemple, ou les fameux dossiers du Docteur Pascal témoignent de la présence de l’auteur qui ressurgit malgré son désir de neutralité.
La force de cette étude se trouve dans l’élaboration pointilleuse de la méthodologie appliquée par Zola pour créer un monde littéraire unique dans son genre. Grâce à la rigueur de Lumbroso, le lecteur peut apprécier le travail ardu de l’auteur des Rougon-Macquart. En revanche, l’importance attribuée à l’autodidaxie reste moins convaincante. Tout auteur se trouve dans l’obligation d’apprendre pour écrire, que ce soit avec une formation traditionnelle ou avec de l’expérience vécue. Lumbroso a tendance à chanter les louanges de Zola sous le prétexte qu’il avait plus d’obstacles à surmonter que d’autres romanciers. Ce genre d’adulation finit par amoindrir le talent de l’auteur en nous demandant d’excuser ses faiblesses. Cette étude de la genèse reste néanmoins un travail de référence fort utile pour ceux qui font de la recherche ou ceux qui voudrait mieux comprendre les étapes de la création romanesque chez Zola.