Gauthier on Anselmini, ed. (2013)
Anselmini, Julie, ed. Dumas Critique. Limoges: Presses universitaires de Limoges, 2013. Pp. 263. ISBN: 9-782842-876005
Anselmini, Julie, ed. Dumas Critique. Limoges: Presses universitaires de Limoges, 2013. Pp. 263. ISBN: 9-782842-876005
Nicolas Gauthier, Université de Waterloo
L’ensemble réussi que forment les quinze contributions de ce volume convainc rapidement de l’importance de s’arrêter aux rapports multiples qu’entretenait Dumas avec la critique, celle de ses contemporains et la sienne. Tout en montrant comment cette dernière est pensée à l’aune de la création dumasienne (Vittorio Frigerio, Charles Grivel), le volume met également en évidence l’importance qu’accordait l’auteur des Trois Mousquetaires à réformer la pratique critique pour en faire un outil d’éducation et ainsi la rendre féconde. Si Dumas n’a pas opté pour les préfaces retentissantes chères à certains de ses contemporains, ces articles montrent que son œuvre formule néanmoins une pensée critique, diffusée en contrebande (Sylviane Robardey-Eppstein).
La première des quatre parties du volume, “Dumas dans l’arène critique,” porte sur les rapports entre l’auteur et la critique de son époque. Anne-Marie Callet-Bianco explique comment Dumas a tenté de concilier l’appellation “littérature facile” avec la littérarité tandis que Sandrine Carvalhosa met en lumière comment Dumas a voulu développer une critique féconde, destinée à “guider le lecteur [et] à aider l’auteur” (46). Ces efforts apparaissent de façon nette dans son affrontement avec Jules Janin, “prince des critiques,” qu’examine Sarah Mombert. En émerge une méthode destinée à offrir une critique constructive, reposant non sur une esthétique, mais sur “une éthique journalistique” qui seule peut faire du “pouvoir exorbitant du critique […] un véritable magistère” (68). La seconde partie du volume, “Dumas critique dramatique,” nous présente Dumas théorisant le théâtre sur la base de la liberté artistique (Barbara T. Cooper) et se révélant un critique pointilleux de ses propres œuvres—mais toujours dans une perspective stratégique qui transforme les “faiblesses” identifiées par la critique en “forces” (Stéphane Arthur). L’article de Sylviane Robardey-Eppstein explique que Dumas propose ses positions théoriques au moyen d’un discours métadramatique laissant voir que ses jugements sont régis par sa création, ce qui est aussi illustré de belle façon dans la comparaison qu’offre Maxime Prévost de l’aventure extérieure dumasienne avec l’aventure intérieure proposée par l’adaptation théâtrale de Mauprat de Sand. Ce dernier article offre de surcroît des remarques éclairantes sur l’évolution des appellations de la “production fictive du premier XIXe siècle” (122), articulant de façon synthétique celles de “roman” et d’“histoire.”
Du théâtre, on passe ainsi en douceur au roman, qui fait l’objet de la troisième partie, “La création romanesque au miroir,” dans laquelle on s’arrête plus longuement sur la manière dont Dumas déploie sa critique à partir de sa propre création. Vittorio Frigerio nous présente ainsi un Dumas lisant Flaubert avec un regard perspicace, sensible au fossé séparant leurs poétiques. Julie Anselmini montre pour sa part la “critique créatrice [ou la] création critique” (152) à l’œuvre dans le roman-somme que constitue Les Mohicans de Paris tandis que Sylvie Thorel, étudiant la mélancolie du cycle des Mousquetaires, souligne, à la suite de Baudelaire, que l’esprit critique de Dumas apparaît dans son imagination qui entrelace Histoire et histoires. Poursuivant dans cette voie, Isabelle Safa examine comment cette vision critique surgit dans la conviction dumasienne de la supériorité du traitement poétisé de l’Histoire, ouvrant la porte à la quatrième et dernière partie, “Critique, réemplois, modes d’emploi.” Patricia Victorin y montre d’abord le processus d’émancipation de Dumas face à Froissart, chroniqueur médiéval et source incontournable pour les auteurs de romans historiques du XIXe siècle, alors que Christine Prévost dégage un mouvement inverse: le choix dumasien de proposer des traductions plus respectueuses des œuvres originales. Ces deux gestes opposés découlent toutefois d’une même lecture critique visant à s’adapter aux attentes de son public. Viennent ensuite l’article de Charles Grivel, qui explique comment la critique dumasienne est fondée sur la création dumasienne, et celui de Claude Schopp, qui rappelle que le sujet préféré de Dumas était Dumas lui-même. Se complétant de belle façon, ces ultimes contributions synthétisent bien les enjeux dégagés auparavant dans Dumas Critique. L’ensemble présente une remarquable unité compte tenu de la diversité des objets d’études; à la lecture se construit, pièce après pièce, une image globale de la critique selon Alexandre Dumas. Offrant ainsi un éclairage tout à fait le bienvenu sur celle-ci, Dumas Critique constitue une riche contribution aux études dumasiennes, tout comme aux études consacrées à la critique au XIXe siècle.