Renucci on Massol, editor (2018)
Massol, Chantal, éditeur. Balzac contemporain. Classiques Garnier, 2018, pp. 248, ISBN 978-2-406-07135-8
Massol, Chantal, éditeur. Balzac contemporain. Classiques Garnier, 2018, pp. 248, ISBN 978-2-406-07135-8
Clélia Renucci, l’université Paris 8
Dans ce volume, Chantal Massol réunit douze contributrices pour évoquer des écrivains français et étrangers, ainsi que des réalisateurs de la fin du XXe siècle qui ont accordé une place notable à la réception de Balzac. “Témoin de son temps, Balzac ainsi relu devient aussi témoin du nôtre” (34).
La première d’entre elles, Joëlle Gleize, s’attache à déceler l’héritage balzacien dans l’œuvre de Pierre Michon. Malgré la différence de leurs poétiques respectives, ils écrivent tous deux, “dans les marges de l’Histoire des historiens, une sorte d’envers de l’Histoire” (40), transfigurant le banal ou l’insignifiant. Le Balzac de Michon est avant tout politique: il valorise moins l’écriture que la faculté de penser et de réformer la société.
Suit un article d’Anne Roche proposant une lecture de Balzac “relu” par François Bon. Les deux artistes explorent les usages nouveaux que la technique peut apporter au livre et à la narration. Chez François Bon, cela se traduit par une réflexion sur le destin, où la liberté des hommes n’est pas absente mais le plus souvent illusoire. La fresque balzacienne propose une vision plus complexe comme dans Le Cabinet des Antiques par exemple où le récit ne se construit pas “sur le mode du déjà joué” (56). Il n’en demeure pas moins que dans ses Notes sur Balzac, finement analysées par Anne Roche, la relation la plus ténue de François Bon avec Balzac se dessine finalement par l’écriture.
C’est la question que pose aussi Christèle Couleau lorsqu’elle examine la façon dont certains procédés de Michel Houellebecq peuvent rappeler la pratique balzacienne de l’écriture. Chez Houellebecq comme chez Balzac, le discours auctorial s’étend volontiers sur plusieurs pages pour mettre en perspective, expliquer, décrypter, ou encore offrir un contre-point. Ainsi, même si les romans de Houellebecq décrivent une société dévitalisée dans laquelle on ne retrouve rien de l’énergie dynamique et du jeu des ambitions et des passions qui animent l’univers balzacien, les romans de ces deux auteurs portent volontairement les stigmates de leur temps.
Dans son article “Jean Rouaud, reconnaissance à Balzac?,” Hélène Baty-Delalande montre la difficulté pour un auteur, après le Nouveau Roman et Tel Quel, d’affirmer une vocation de romancier. C’est d’un Balzac visionnaire, historiographe, que Rouaud est l’héritier; un Balzac architecte, archiviste du présent, entassant ses descriptions, revenant sur les petits faits vrais; un Balzac ouvert, avec ses hésitations et ses inachèvements.
L’enjeu de la contribution de Marion Mas est d’analyser le traitement du récit de filiation dans Ma Vie parmi les ombres. Chez les deux Balzac comme chez Richard Millet, le récit généalogique est d’abord une manière d’historiciser la loi de la perpétuation.
Chantal Massol analyse ensuite comment l’écrivain allemand W. G. Sebald revendique dans son dernier roman Austerlitz (2001) l’héritage de Balzac. La Comédie humaine joue un rôle déterminant dans l’enquête que mène Jacques Austerlitz sur ses origines oubliées. La superposition des époques trouve ainsi sa motivation dans la similitude des situations.
À la question de savoir quel serait “le” Balzac de l’écrivain italien Antonio Moresco, celui-ci répond par une image dans l’interview qu’il accorde à Susi Pietri. Balzac représenterait un “navire-école” (151) pour les écrivains. Par sa liberté, émouvante et infantile, il a ouvert une infinité de voies aux auteurs qui l’ont suivi: labyrinthe, œuvre-monde, force dans le chaos, espace électif de la métamorphose narrative, excès de l’écriture sont tour à tour analysés et explorés.
Véronique Bui évoque ensuite la relation intime entre l’œuvre de Balzac et celle de Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise. Grâce au vol d’une valise qui contient des livres interdits, deux jeunes gens et une petite fille prennent conscience du pouvoir de la lecture et, par elle, de l’écriture. C’est paradoxalement par le biais d’un autodafé, mort symbolique des écrivains occidentaux, qu’advient la naissance d’un nouveau romancier. Ainsi, Véronique Bui conclut que lire Balzac, comme le fait Dai Sijie, “c’est grandir et naître à soi” (185).
Le volume se termine par l’analyse des liens unissant trois cinéastes à l’auteur de la Comédie humaine. Catherine Dousteyssier-Khoze montre que la clef balzacienne permet d’apporter cohérence et complexité à une esthétique chabrolienne jugée parfois hétéroclite. Les deux artistes se sont penchés sur les mœurs de province et la bourgeoisie, et ont proposé une anatomie du mariage, des relations familiales et de la femme. Claude Chabrol revendique, à la manière de Balzac, le droit à la “mosaïque” (190) dans laquelle chaque élément s’intègre dans une composition globale.
Le cinéma de Jacques Rivette présente lui aussi une méditation constante sur l’œuvre de Balzac, selon Francesca Dosa. L’étude parcourt trois œuvres marquées par une puissante innutrition balzacienne: Out 1, Noli me tangere (1970), La Belle Noiseuse (1991) et Ne touchez pas à la hache (2007). Si le réalisateur ne respecte jamais le texte balzacien à la lettre, il saisit chaque fois le potentiel mystique, initiatique, artistique à l’œuvre dans la Comédie humaine.
Enfin, Anne-Marie Baron s’attelle à mettre à jour les affinités entre Raúl Ruiz et Honoré de Balzac, l’un de ses romanciers favoris, qu’il cite constamment. C’est en fait de la technique romanesque de Balzac que Ruiz s’inspire, juxtaposant les intrigues pour en faire jaillir un sens nouveau et recourant volontiers à l’occulte, au spectral, et à la double vue.
Dans ce volume Balzac contemporain, chaque article apporte un éclairage nouveau sur l’œuvre de Balzac comme sur l’auteur d’aujourd’hui. La partie consacrée au cinéma gagnerait peut-être à analyser des productions plus récentes encore pour rendre à Balzac toute son actualité. Plus généralement, les liens ténus entre l’auteur de la Comédie humaine et ses contemporains sont admirablement rendus sensibles par l’analyse très fine des textes et des interviews données par ces artistes de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle.