Wang on Robert (2015)

Robert, Vincent. La Petite-fille de la sorcière: enquête sur la culture magique des campagnes du temps de George Sand. Paris: Les Belles Lettres, 2015. Pp. 318. ISBN: 978-2-251-44530-4

Dans La Petite Fadette, l’un des chefs-d’œuvre champêtres de George Sand, le fait que l’héroïne est la petite fille d’une sorcière constitue-t-il un détail insignifiant? À partir des réflexions sur cette question, les études de Vincent Robert nous montrent de nouveaux aperçus sur un monde singulier: celui de la culture dans la campagne qui est une sphère animée par l’existence des êtres surnaturels, par la magie, la sorcellerie et la divination au cours de la première moitié du XIXe siècle. À une époque marquée par l’influence importante de la ville et de la révolution industrielle, où les habitants de la région rurale ne sont plus censés croire aux sorts ou aux sorciers, les superstitions populaires dont les permanences et les transformations portent ses significations sociales, historiques et politiques, persistent encore. L’auteur effectue une enquête ambitieuse et ardue sur ces aspects souvent négligés par les historiens, en prenant principalement pour guide La Petite Fadette de Sand, qui représente la vie de simples paysans et incarne une valeur folklorique exceptionnelle.

En tant qu’historien, Robert éclaire dans l’introduction sa méthodologie d’enquête et présente les avantages qui existent dans le fait de recourir aux ressources de textes littéraires qui pourraient offrir un dossier d’étude reflétant la réalité avec plus de dynamisme. Autour de ses investigations, les études de Robert se développent sur trois dimensions principales. Le premier chapitre intitulé “Précautions,” sert à situer le contexte culturel, social et littéraire dans lequel s’inscrivent l’hypothèse et les réflexions sur les ouvrages rustiques sandiens, particulièrement sur La Petite Fadette. Tout en indiquant la place réduite faite à la culture paysanne par les critiques du XIXe siècle, Robert montre l’originalité des romans champêtres crées par Sand qui, comme écrivaine célèbre ayant une enfance et une adolescence campagnardes, témoigne toujours du respect pour la langue, les pensées et la culture des paysans dans la représentation des traditions et des coutumes de la campagne. Robert affirme qu’en dépit des dénégations ostensibles de Sand, ses œuvres rustiques incarnent effectivement des tensions internes et le dynamisme de la croyance populaire plus facilement compris par ceux et celles qui ont été baignés dans la culture orale et paysanne.

Dans le deuxième chapitre, intitulé “Décryptages,” à partir d’une perspective anthropologique et folklorique épousant le regard possible des paysans du XIXe siècle, l’auteur examine des traces “mystérieuses” éparses dans La Petite Fadette pour comprendre ses significations dans la culture magique des paysans. Selon Robert, ces éléments portant sur la superstition campagnarde, au lieu d’ajouter simplement la couleur locale à l’œuvre, constituent en effet un moteur important de l’intrigue qui joue un rôle dans la dynamique du roman. Le troisième chapitre, “Croyances et récits dans l’histoire,” examine d’abord les raisons de la survivance de la superstition paysanne dans un contexte historique. Tout en évaluant les continuations et les changements de cette culture magique, Robert pense ensuite leur enjeu politique aussi bien dans la réalité sociale que dans l’imaginaire de La Petite Fadette. La conclusion de l’ouvrage, “D’un monde à un autre,” présente une synthèse des arguments des études, tout en mettant en relief l’importance des réflexions sur des aspects de la culture magique évoqués dans La Petite Fadette. L’auteur souligne la dimension politique du roman et le considère comme “un récit du processus de modernisation mais qui se fait sans violence symbolique, sans rupture culturelle” (299).

Exception faite aux études pionnières de Marie-Louise Vincent, Brigitte Lane et Robert Godwin-Jones, les croyances paysannes dites superstitieuses intéressent rarement les critiques et les historiens du XIXe siècle qui, habituellement, considèrent ces dernières comme arriérations rurales ou aberrations d’esprits incultes. L’enquête de Vincent Robert lance un défi à ces préjugés rationalistes et modernistes, mettant en lumière un monde imaginaire des paysans qui porte des significations morales, sociales, historiques et politiques. Ces recherches riches, puissantes et complexes sur ce sujet prennent La Petite Fadette de George Sand comme guide, s’appuient effectivement sur une grande collection de documents précieux empruntés à l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, la politique et la littérature. Basé sur ses analyses fines, nuancées et profondes, l’auteur met La Petite Fadette dans son contexte historique et culturel, tout en déployant la complexité et l’originalité de cet ouvrage champêtre sous-évaluées avant sa réédition dans la collection Folio par Martine Reid. Les observations et les découvertes de ses recherches destinées à explorer la culture paysanne tracent également de nouvelles pistes pour les études sur George Sand. L’ouvrage de La Petite-fille de la sorcière: enquête sur la culture magique des campagnes du temps de George Sand amorce sûrement une réflexion sur les croyances paysannes, apportant une contribution novatrice et enrichissante aux études de l’histoire française du XIXe siècle.  

 

Ying Wang
Pace University
Volume 44.3-4