Sureau on Ashley (2022)
Ashley, Katherine. Robert Louis Stevenson and Nineteenth-Century French Literature: Literary Relations at the Fin de Siècle. Edinburgh UP, 2022, pp. 224, ISBN: 978-1-4744-9323-9
Robert Louis Stevenson and Nineteenth-Century French Literature: Literary Relations at the Fin de Siècle propose une exploration des relations qu’a entretenues Robert Louis Stevenson avec la France et la littérature française, ainsi que la manière dont les auteurs, critiques et traducteurs français ont, de leur côté, perçu son œuvre au moment même où le roman entrait dans une période de transformation et de reconsidération. L’auteure Katherine Ashley présente son analyse par le biais critique de l’histoire littéraire. En examinant l’affection que Stevenson portait à la culture et à la langue françaises, et l’intérêt que la France et son lectorat lui ont montré en retour, Ashley affirme que les traditions littéraires anglaises et françaises de la fin du siècle, et l’œuvre de Stevenson en particulier, ne doivent plus s’envisager séparément, mais plutôt au travers d’une optique transnationale grâce à laquelle les épaisses cloisons qui délimitent et séparent les pays, les cultures, les langues et les genres littéraires se fluidifient.
Dans une prose agréable et claire, Ashley avance que Stevenson est un auteur qui transgresse toutes sortes de limites: franchissement de frontières (géographie), apprentissage et application de langues étrangères (linguistique), accumulation de genres (critique littéraire), refus de sacrifier la forme au fond (stylistique). Son analyse soutient que Stevenson se positionne à la croisée des limites et qu’il choisit, en conscience, de rapprocher des opposés qui semblent, au préalable, irréconciliables.
Le texte est divisé en quatre larges chapitres. Les deux premiers chapitres se concentrent sur Robert Louis Stevenson en tant qu’amateur et consommateur de littérature française ainsi que comme prosateur de correspondances et de créations ludiques en langue française. Le premier chapitre montre la place prédominante des textes originaires de France dans les débats anglo-saxons sur la moralité telle qu’on la trouve dans les écrits littéraires. Ces débats ont servi, selon Ashley, à encourager chez Stevenson une réflexion sur les théories du roman qui vont lui permettre de développer sa voix narrative. En analysant les essais théoriques de Stevenson, Ashley montre que grâce à la lecture d’auteurs comme Hugo, Zola, Jules Verne ou Maupassant qui le forcent à s’interroger sur les confluences entre la morale et l’art, Stevenson parfait un genre littéraire qui lui est propre, celui d’un roman qui alliera deux mouvements au préalable antinomiques: le romantisme et le réalisme.
Le deuxième chapitre examine les différentes manières dont Stevenson joue avec la langue française, comment (et pourquoi) il en imite les usages et les tournures dans ses correspondances et divers écrits. Dans ce chapitre, Ashley avance que le travail sur la langue française n’a pas pour Stevenson comme seul but de lustrer son style. Selon l’auteure, ces jeux linguistiques, souvent ludiques, serviraient également à s’opposer au roman réaliste en composant des romances dans un style recherché aux voix multiples, parachevant de fait le nouveau genre littéraire transnational proposé dans le premier chapitre. La seconde partie de cette section se penche en particulier sur l’influence des Petits Poèmes en Prose de Baudelaire dans le développement esthétique et stylistique de Stevenson.
Les deux derniers chapitres changent de perspective et se concentrent sur la réception en France des textes de Stevenson, en particulier leurs traductions ainsi que leurs interprétations critiques, pour mettre en lumière la place qu’occupe Stevenson dans la tradition littéraire française. Le troisième chapitre se focalise sur les publications et traductions de l’œuvre de Stevenson. En analysant le statut de la publication littéraire à la fin du siècle, Ashley s’intéresse dans la première partie du chapitre au rôle des œuvres étrangères en traduction dans la confection d’une identité littéraire nationale. L’auteure montre que l’œuvre de Stevenson en particulier est sortie de maisons de publication variées. De la petite presse réservée à une élite intellectuelle avide de textes aux valeurs esthétiques assurées, aux grandes presses qui distribuent en et aux masses à petit prix pour un public friand d’intrigues bien conçues, le lectorat français positionne ainsi Stevenson au cœur du débat sur la tradition littéraire française. La seconde partie du chapitre offre une vue d’ensemble des traductions, indiquant une fois encore que non content d’être lu par un vaste public, Stevenson a aussi été traduit par un éventail de traducteurs, de l’amateur au professionnel. Ashley souligne une fois encore la transnationalité et la transgression des limites d’une œuvre qui touche les lecteurs français, qu’ils soient hommes et femmes, jeunes et vieux, du moins aisé au plus prospère, de l’inculte à l’intellectuel.
Ashley se concentre dans le dernier chapitre sur la place qu’occupe Stevenson dans les débats sur l’évolution de la tradition littéraire. Ashley démontre que pour tenter de réévaluer les valeurs du roman au tournant du siècle, la France s’est tournée vers la littérature étrangère dans l’espoir de redéfinir le concept d’identité littéraire nationale. Stevenson en particulier, avance Ashley, a réussi à mettre d’accord des critiques et auteurs aux perceptions divergentes, en créant des livres captivants dans un style agréable bien que soutenu. Il transcende de fait les mouvements littéraires du moment qui privilégiaient soit l’un soit l’autre. Satisfaisant autant dans son fond que sa forme, l’écriture de Stevenson comble pleinement les nouvelles générations de lecteurs et assoit ainsi l’auteur écossais dans la tradition littéraire française.
Robert Louis Stevenson and Nineteenth-Century French Literature: Literary Relations at the Fin de Siècle est un ouvrage fascinant ouvert à un large public. Nul besoin de connaitre en profondeur les textes de Stevenson ni les événements marquants de sa vie pour apprécier l’étude d’Ashley à sa juste valeur. Le travail de Ashley répondra aux attentes d’un public varié, critiques spécialistes de Stevenson, étudiants en programme de doctorat voire même un plus large lectorat de non spécialistes. Son livre réussit brillamment à convaincre de la place prépondérante de la littérature française dans la tradition anglo-saxonne, de la contribution de la littérature étrangère dans la culture française de fin de siècle, ainsi que l’importance de Stevenson, baigné des deux cultures, au cœur du débat sur les valeurs de l’esthétique romanesque.