Oikonomopoulou on Färnlöf (2022)

Färnlöf, Hans. La Motivation littéraire: du formalisme russe au constructivisme. Classiques Garnier, 2022, pp. 273, ISBN 978-2-406-13103-8

Cet ouvrage, qui relève du champ épistémologique de la narratologie, tente d’explorer la notion de la motivation littéraire, en s’appuyant sur les acquis théoriques des formalistes russes, tels que Victor Chklovski, Roman Jakobson, Iouri Tynianov et Boris Tomachevski. Dans cette perspective, son auteur Hans Färnlöf y propose une mise au point et une revalorisation essentielle de l’exploration du concept théorique de la motivation littéraire, à travers la mise en œuvre d’un échange permanent entre les dominantes théoriques des formalistes russes et les acceptions narratologiques de notre ère, approchées sous l’angle du constructivisme. Prenant en considération le caractère flou et ambigu, indéniablement plurivoque et pluridisciplinaire de la motivation, ainsi que son emplacement incertain au sein des quelques-unes des théories littéraires récentes qui tentent, souvent, à l’omettre ou la réduire à de simples considérations de perspective référentielle ou psychologique, Färnlöf construit son étude à partir des défis scientifiques bien précis et tout à fait prometteurs: éclaircir pleinement les paramètres substantiels de la motivation littéraire, combler les lacunes conceptuelles repérées dans certains projets des théoriciens, faire émerger une synthèse consolidée des différentes acceptions de la notion et, enfin, consolider l’élaboration d’une “méthodologie susceptible de faire de cette notion un outil d’analyse à incorporer de façon plus généreuse dans les études littéraires” (13).

La structure de l’ouvrage, solide et totalement symétrique, s’articule en six chapitres, précédés par l’introduction, et suivis de la bibliographie, de l’index des titres, des noms et des notions, ainsi que des emplacements des tableaux dont l’œuvre est truffée.

Dans l’introduction, l’auteur établit en premier lieu une cartographie des acceptions de la notion de la motivation, tout en mettant le point sur sa considération aléatoire et diminutive, repérée dans plusieurs études de théorie littéraire. Suit un étalage de ses objectifs scientifiques par rapport à l’approche de cette notion qu’il valorise sous forme d’entreprise qui consiste à raffiner, compléter, synthétiser et théoriser intégralement l’identité conceptuelle, référentielle et fonctionnelle de la motivation littéraire.

À cet égard, Färnlöf précise qu’il adopte comme point de départ de son étude les fonds théoriques des formalistes russes dont l’œuvre constitue la pierre angulaire des recherches d’éclaircissement et de délimitation sur la motivation littéraire. Pour illustrer ce positionnement, l’auteur insiste sur les opérations bien coordonnées des théoriciens russes qui ont procédé à une nette démarcation des domaines d’usage de la motivation, en mettant sur place la distinction entre motivirovka—outil opérationnel de la motivation littéraire—et motivacija—outil d’analyse de la motivation extralittéraire (15). De ses observations émerge d’ailleurs la finalité fondamentale de cet ouvrage qui se résume à un survol intégral et synthétisant des positionnements des formalistes russes en matière de l’étude de la motivation littéraire, ainsi qu’à un projet d’affinement et de mise à jour de sa taxinomie, subventionné par l’instauration d’une méthodologie adéquateL’introduction se poursuit par un étalage condensé mais bien précis de la structure de l’ouvrage et du contenu de chaque chapitre.

Le premier chapitre qui suit l’introduction rigoureuse de l’auteur est titré “Points de départ.” Il trace de manière pénétrante les positions de base des formalistes russes, et surtout celles qui s’avèrent indispensables pour la perception du fondement théorique et surtout méthodologique de la motivation littéraire.

Suivent quatre chapitres qui portent comme titre les noms des quatre formalistes russes Chklovski, Jakobson, Tynianov et Tomachevski. Chacune de ces quatre unités est structurée de façon identique, et subdivisée en trois sous-chapitres, dont le deuxième et le troisième sont également divisés en deux ou trois sections. Le premier sous-chapitre est dédié à une présentation scrupuleuse des axiomes de chaque théoricien formaliste en fonction du champ polyvalent de la motivation littéraire; le deuxième sous-chapitre, désigné toujours par le titre “(D’) après…”, se construit autour de la réception et de la fortune de ces concepts dans l’horizon postformaliste, alors que le dernier sous-chapitre est orienté à l’éclaircissement de la dominante théorique de chaque formaliste russe par la mise en place des analyses littéraires dont les exemples à l’appui sont puisés dans le domaine de la littérature française du XIXe siècle, voire aux créations littéraires des auteurs tels que Flaubert, Daudet, Zola et Maupassant, George Sand, Stendhal, Nodier, Mérimée et Jules Verne. Ce choix est d’ailleurs justifié par l’auteur d’un côté par la rareté d’exploration de ce champ auctorial spécifique en matière de la motivation littéraire, et de l’autre part par le trait caractéristique la littérature française du XIXe siècle de déployer “une tension constante entre composition réaliste et romanesque, ce qui fait de ses manifestations littéraires un objet d’étude particulièrement pertinent pour illustrer la problématique théorique de la motivation littéraire” (19). La seule exception à ce corpus d’étude est l’exploration des deux œuvres de contes des auteurs des XXe–XXIe siècles, à savoir Barbe bleue de Nathalie Nothomb et Mes contes de Perrault de Tahar Ben Jelloun, que le lecteur est invité à considérer selon leur identité intertextuelle, donc dans une perspective d’une “ouverture diachronique” (19).

Le dernier chapitre intitulé “Points d’arrivée,” sorte de reflet structurel mais synthétique du premier chapitre de l’ouvrage, tient lieu de conclusion sur ce vaste champ théorique que représente la motivation littéraire. L’auteur saisit l’occasion pour présenter un bilan critique sur les dominantes théoriques qui fussent largement approchées dans son ouvrage, et finalement pour initier, sous forme des questions cruciales sinon épineuses, quelques nouveaux axes d’approche de la notion de la motivation littéraire.

La portée du travail sur le champ scientifique de la motivation littéraire que livre Hans Färnlöf à ses lecteurs dépasse largement une simple analyse et une enquête de terrain sur les recherches et les théories afférentes sur la motivation littéraire des formalistes russes Chklovski, Jakobson, Tynianov et Tomachevski, voire dans un cadre de rapprochement conflictuel ou différent avec le constructivisme. Par son contenu, sa forme et sa structure, riches en outils théoriques et méthodologiques, en procédés, matériaux et en nouvelles perspectives d’étude, cet ouvrage possède plusieurs avantages qui l’érigent en référence incontournable dans le domaine de la narratologie contemporaine. L’approche amplement argumentée et kaléidoscopique des problématiques des théoriciens formalistes russes—au niveau individuel ainsi que collectif—en matière de la motivation littéraire, la revalorisation de cette notion et sa réintégration dans une nouvelle perspective actualisée ouvrent indéniablement de nouvelles pistes d’approche et d’étude critiques pour la narratologie du XXIe siècle.

Christina Oikonomopoulou
Université de Péloponnèse
52.1-2