Tonnerre on Caron and Luis, eds. (2015)
Caron, Jean-Claude, et Jean-Philippe Luis, éditeurs. Rien appris, rien oublié? Les Restaurations dans l’Europe postnapoléonienne (1814–1830). PU de Rennes, 2015, pp. 472, ISBN 978-2-7535-4268-6
La citation qui sert de titre à ce texte, attribuée à Talleyrand, résume en quelques mots choisis l’attitude supposée des émigrés de retour en France aux lendemains des tourmentes révolutionnaires. C’est aussi, peut-être, qu’on tend à simplifier dans le récit national français cette période de transition présentée alors comme une futile tentative de retour à un passé révolu s’opposant à la modernité naissante. Qu’on se rassure, ce ne sera pas le cas du lecteur de cet ouvrage collectif d’excellente facture: lui, au contraire, aura appris beaucoup. Il est aidé en cela par un solide travail d’édition de Jean-Claude Caron et Jean-Philippe Luis, encadrés par une introduction qui place clairement les problématiques, et par une conclusion qui souligne à propos la contribution de cet ouvrage, lui-même héritier de deux rencontres internationales sur les Restaurations européennes.
C’est tout d’abord ce terme de Restauration (y compris dans sa pluralité) qu’il s’agit non pas de définir, mais du moins de préciser. Il faut s’affranchir des clichés: non, la Restauration n’est pas l’opposition binaire de la Révolution. Elle n’est pas non plus une réaction, terme si cher à la droite dure: “Ni table rase, ni retour en arrière, l’Europe des Restaurations apparaît telle une combinaison, un assemblage plus ou moins jointif d’ancien et de nouveau” (16). En particulier, la Restauration française (qu’on l’approche dans la perspective d’un temps court ou d’un temps long, pour reprendre les catégories jadis esquissées par Fernand Braudel) s’avère être une période charnière, dont l’analyse continue d’être hantée par l’ombre clairvoyante d’Alexis de Tocqueville: “[…] la Restauration constitue un excellent observatoire pour identifier ce qui, dans sa structure politico-administrative notamment, relève d’un temps prérévolutionnaire persistant et ce qui apparaît comme l’héritage de la Révolution—entendue ici comme un bloc d’un quart de siècle” (16). C’est donc l’une des tâches qu’entreprend cet ouvrage collectif: une analyse diverse et fouillée de cet “observatoire,” selon une grande variété de sujets, et de plus, à l’échelle européenne. Mais toujours, quel que soit le pays traité, les spectres de la Révolution et de l’Empire se dressent, ramenant inlassablement ces Restaurations à leurs origines, aux bouleversements entrainés par l’héritage des Lumières, par le décollage d’un Bourbon, par l’appétit de conquête de Buonaparte. Et c’est tout un réseau d’idées, de sentiments, de mentalités qui se révèle, soulignant “la circulation importante des individus dans l’espace européen, circulation sans commune mesure avec celle du siècle précédent” (464), que ce soit celle des prisonniers de guerre ou des réfugiés politiques, errant de terre d’accueil en ville d’asile, charriant leurs idées et leur complots, leurs défaites ou leur regrets. Cette Europe de la Restauration est devenue une Europe plus cosmopolite, où malgré la défaite militaire, la France continue de rayonner, n’en déplaise à la Sainte Alliance.
Sur les trente-sept contributions, organisées en quatre parties, qui constituent la matière de Rien appris, rien oublié, certains textes se détachent. Selon leur ordre d’apparition dans le volume, on peut signaler “La politique économique de la Restauration: le choix de la modernité,” de Francis Démier, qui réussit à transformer ce sujet somme toute assez sec, en une épopée du compromis, menée par quelques hommes qui les premiers ont compris que la politique économique est un enjeu stratégique, et qui se sont évertués à maintenir une politique cohérente dans une France toujours clivée entre grands propriétaires et bourgeois manufacturiers. “Le mythe du retour à l’Ancien Régime sous la Restauration” d’Olivier Tort montre avec verve comment libéraux et ultras s’opposent à propos d’un retour fantasmé à l’Ancien Régime: les premiers utilisent le spectre du retour en arrière comme épouvantail pour renforcer leur position dans le champ politique, et les seconds, ce qui peut surprendre, jouent le jeu et se font plus réactionnaires qu’ils ne le sont vraiment, afin de contenter leurs soutiens les plus extrêmes, donnant naissance à un simulacre de réaction. Finalement, il faut mentionner “Le sacre de Charles X et le tournant de 1825” d’Emmanuel de Waresquiel qui montre que cette cérémonie, qui avait été pensée comme un symbole d’unité nationale, se retourna contre un roi homme de qualité, dont la grâce tant vantée par ses contemporains de bon ton avaient fait de lui l’incarnation fantasmée d’une noblesse rêvée. Mais, dans une société qui se démocratise, ces atouts d’Ancien Régime en firent un piètre monarque incapable de compromis par peur de déroger à des principes maintenant surannés, renforçant ainsi les clivages qui entraîneront sa chute, d’autant plus brutale qu’il se voyait grand.
Dans Rien appris, rien oublié, on trouve beaucoup de choses, on voyage dans toute l’Europe, on transite par des sujets dont on ne sait parfois que peu. Mais l’essentiel est là: si l’on s’intéresse aux Restaurations, on est sûr d’y trouver quelque chose qui interroge et qui ouvre de nouvelles perspectives. En tous cas, on y redécouvre une Restauration qui le méritait bien.