Tonnerre on Johanet, ed. Bourguinat and Polzin (2014)
Johanet, Sophie. Voyage de noces d’une royaliste à travers l’Allemagne et l’Italie. Ed. Nicolas Bourguinat and Marina Polzin. Strasbourg: Presses universitaires de Strasbourg, 2014. Pp. x + 269. ISBN: 978-2-86820-584-1
C’est un texte frais que celui de Sophie Johanet. Il s’y déploie l’innocence de celle qui découvre les premiers temps du mariage avec un époux aimé car choisi, d’une jeune fille qui devient femme par les joies et les affres du voyage de noces, surtout lorsque celui-ci se double d’une présentation aux idoles politiques en exil. Dans ce journal destiné au mieux à servir d’exemplum pour le reste de la famille, on se trouve entrainé dans un récit touche à tout qui s’inscrit dans plusieurs genres: texte d’apprentissage, journal de voyage, portrait politique. Pour démêler les fils discursifs qui s’entrecroisent, le lecteur moderne peut compter sur l’édition précise et bienveillante de Nicolas Bourguinat et Marina Polzin, à laquelle s’ajoute une introduction, puis, une fois le périple achevé, un commentaire plus long, dont le sous-titre, “un voyage de formation et de conviction dans l’Europe romantique,” pourrait servir de condensé à cette œuvre.
Ce qui peut étonner au premier abord, c’est que ni Sophie Johanet ni son mari Auguste ne sont nobles. Cependant, les familles bourgeoises dont ils sont issus portent en eux une tradition de vénération pour les Bourbons, la mère de Sophie étant une véritable passionara de la cause; cela lui vaudra l’amitié des Chateaubriand, qui se transforme en culte familial. La dévotion à la lignée déposée sert d’ailleurs d’articulation à ce voyage de noces, qui n’aurait sans doute jamais eu lieu sans cela, car en 1845 la pratique en est à ses balbutiements en France. Le voyage s’organise suivant trois étapes “de conviction”: Goritz, pour y assister à la messe anniversaire de Charles X et y rencontrer le Comte de Chambord, puis Venise pour le revoir ainsi que la Duchesse de Berry et de nombreux fervents de la cause, et finalement Frohsdorf, où ils sont reçus par la Duchesse d’Angoulême. Ces rencontres n’offrent aucun portrait saillant de la part de la jeune voyageuse, mais tendent plutôt, logiquement, au panégyrique. De la première rencontre avec le comte de Chambord, elle s’exclame: “[…] car vraiment, dès qu’on a aperçu cette belle figure empreinte à la fois d’une rare énergie, et d’une grâce, d’une douceur, qu’une noble fermeté rend plus parfaite encore, on ne peut en détourner les yeux” (54). De Louise d’Artois, sœur du comte de Chambord, elle écrit: “On m’avait bien dit qu’elle était belle, qu’elle était gracieuse, bonne, aimable, mais on ne pouvait donner une idée d’une telle perfection” (138)! Mis à part ces généralités qui se redoublent au fil des rencontres, l’auteure décrit peu de traits physiques, mais on trouve une constante insistance sur la grâce, faisant remonter au fin fond de l’ancien régime.
Peu de politique aussi, car c’est là le rôle d’Auguste, qui rédige en parallèle son propre ouvrage. La société dans laquelle ils évoluent est évidemment très stricte sur le rôle des deux sexes, et si à une ou deux reprises Sophie s’en agace quelque peu, lorsque par exemple Auguste l’abandonne pour passer la journée à Wiesbaden, la ville du jeu, elle embrasse son rôle et sa position sociale, les tenant pour naturels et justifiés. Avant tout, Sophie est et reste Mme Auguste Johanet. Son long voyage, sa position de précurseur dans la pratique du voyage de noces, n’ont en rien altéré sa profonde conviction dans son rôle d’épouse et de future mère.
Des voyages, on retrouve les habituelles complaintes sur les cahots des voitures, mais aussi la fascination technologique exercée par le train, au retour d’Allemagne. C’est surtout Venise qui couronne ce voyage, Venise qui a fait des deux jeunes mariés ses prisonniers suite à une fausse couche et à sa longue convalescence. On y voit l’importation de pratiques, l’invention des modes. C’est Auguste qui loue une gondole la nuit pour s’endormir sur la lagune, échappant aux moustiques et à la chaleur: “Cela devint une rage que ces nocturnes promenades” (95) nous informe la fière épouse. Habituée de Dieppe, la comtesse de V*** lance la mode des bains sur la plage du Lido, auparavant déserte sous le soleil. Sophie sera la seconde à l’imiter, avant que le nombre croissant des baigneurs ne pose la question de la pudeur. Une fois de plus, Auguste volera à la rescousse, faisant ériger une tente pendant la nuit. Une pratique était dorénavant importée.
C’est un peu tout cela que ce texte de Sophie Johanet: le début d’un mariage d’amour et de raison, le début des voyages de noces, le début des pratiques de plage en Italie. Tout cela, sous le soleil couchant d’une dynastie.