Tonnerre on Martens, ed. (2016)
Martens, David, éditeur. Lettres de noblesse I. L’imaginaire nobiliaire dans la littérature française du XIXe siècle. Classiques Garnier, 2016, pp. 220, ISBN 978-2-8124-5059-4
Cette noblesse qu’on croyait défaite par la Révolution, déracinée par son exil et par le décollage de son chef semble n’en plus finir de disparaître en une longue agonie qu’achèvera le coup de grâce proustien. Or, cette mort annoncée de la noblesse française, inscrite dans le récit national, s’avère sans cesse repoussée d’une révolution à l’autre, de coups d’états en coups d’éclats. Ce sujet, traité à foison par les historiens, semble avoir plus rebuté les spécialistes de littérature, car à ce jour on ne trouve que peu d’études générales sur le rapport entre noblesse française et production littéraire au XIXe siècle. C’est cela que vient tenter de combler ce premier volume d’un titre on ne peut plus à propos car il incarne si bien l’ambiguïté de cette classe qui se voulait caste: Lettres de noblesse.
Certes, la noblesse connaît un déclin économique certain au cours du siècle, et même dans le monde social, dans ce grand monde dont elle mène toujours le bal, elle peine à retrouver sa dominance d’antan. Mais alors, et c’est là la supposition faite par David Martens dans son excellente introduction: comment expliquer cette omniprésence littéraire de la noblesse au XIXe siècle (que ce soit par la pléthore de personnages nobles, par le grand nombre d’auteurs issus de nouvelle ou ancienne aristocratie, par cette fureur de la particule, cette recherche de l’aristonyme qui souvent accompagne la carrière littéraire) sinon par l’existence d’un imaginaire nobiliaire, la notion d’imaginaire étant emprunté à Bertrand Gervais. Ce concept est ainsi défini par David Martens: “Au XIXe siècle, pris dans un double mouvement historique et socio-politique, l’imaginaire nobiliaire se présente comme un système de valeurs en même temps que comme une classe sociale à première vue tournés vers un passé qui paraît n’avoir plus cours, mais ne s’en trouve pas moins fréquemment convoqué au présent, et en vue de l’édification d’un avenir” (10). Système de valeur, de modération, d’appréciation, cet imaginaire a relancé, comme on le ferait pour une débutante après un faux-pas, le corps de cette noblesse qu’on croyait enterrée, la replaçant, à la fois spectre des croyances disparues et chantre des idées à venir, au cœur de la création littéraire.
À l’introduction de David Martens, que tout lecteur s’intéressant à la noblesse se devrait de consulter, que ce soit pour sa présentation de la problématique nobiliaire, pour sa bibliographie ou pour l’état des lieux de ce qu’il reste à faire, s’ajoute une douzaine de textes, organisés par auteur(s), soulignant les liens existant entre leur écriture et la noblesse, que celle-ci soit de sang ou de plume. François-René de Chateaubriand, Jules Barbey d’Aurevilly, Auguste Villiers de l’Isle-Adam et Delphine de Girardin s’y côtoient comme il est de bon ton, et ils sont rejoints par des vilains de naissance aux aspirations d’autant plus élevées, que ce soit Honoré de Balzac, J.-K. Huysmans ou Stéphane Mallarmé parmi d’autres. C’est peut-être ici que les Lettres de noblesse n’atteignent pas leur but: par la diversité des écrivains ainsi que par la diversité des articles qui leur sont concernés, presque tous de très bonne facture d’ailleurs, on perd parfois un peu le fil doré qui scintillait en introduction. Il se dégage cependant quelques thématiques communes: la posture de l’écrivain domine certains textes, alors que dans d’autres c’est la question de la transformation même du concept de noblesse qui domine. Doux rêveurs, nombreux furent les écrivains, dont Balzac et Villiers se dégagent comme des figures de proue, malgré ce qui opposa leur naissance et leur devenir, à vouloir refonder, ou même refondre, l’ancienne noblesse en nouvelle aristocratie. Signe d’un nouvel état des choses, ce désir souligne à merveille les limitations auxquelles font face cette classe maintenant dénuée de privilège. Sa domination sociale étant remise en cause par l’essor bourgeois, son capital symbolique se voyant menacé, l’illusion de sa supériorité génétique perdant de sa superbe par les mariages d’argent (ruinant ainsi la “pureté” de la lignée), la noblesse doit alors incorporer les nouveaux talents si elle se veut de survivre. Rêve doux mais inabouti, car trop éloigné des nouvelles valeurs bourgeoises qui peu à peu s’imposent. Mais du moins, dans la littérature, la résistance est âpre.
C’est peut-être en se réfugiant dans l’imaginaire que la noblesse a si bien négocié la période postrévolutionnaire, revenant sur le devant de la scène littéraire, ses ors certes fanés mais sa grâce intacte. Cet imaginaire reste encore en grande partie à explorer. Et c’est bien là que ces Lettres de noblesse prennent les leurs.