Bertran de Balanda on Burnand, Genand and Seth, editors (2017)

Burnand, Léonard, Stéphanie Genand et Catriona Seth, éditeurs. Germaine de Staël et Benjamin Constant: l’esprit de liberté. Perrin/Fondation Martin Bodmer, 2017, pp. 207, ISBN 978-2-262-06409-9

À l’occasion du bicentenaire de la mort de Germaine de Staël et des 250 ans de la naissance de Benjamin Constant, une exposition en forme de double hommage était présentée du 20 mai au 1eroctobre 2017 à la Fondation Martin Bodmer—sise au domaine de Cologny tant prisé par les Necker—en collaboration avec l’Institut Benjamin Constant et la Société des Études staëliennes. Plutôt qu’un catalogue commenté, les organisateurs ont préféré accompagner l’événement par ce qui tiendrait davantage d’un ouvrage collectif illustré. Chaque texte est entouré d’un riche corpus iconographique: tableaux, illustrations d’époque, éditions originales, manuscrits, correspondance, fragments inédits ou encore objets personnels issus pour l’essentiel du fonds Bodmer et des collections du château de Coppet escortent la lecture, chaque chapitre se terminant par l’évocation plus détaillée de pièces particulièrement significatives.

L’ouvrage en soi, après un avant-propos de Léonard Burnand et une introduction de Jacques Berchtold, se divise en quatre sections thématiques retraçant le destin de ces deux “amis de la liberté.” La première, significativement intitulée “Deux enfants des Lumières,” nous replonge dans l’enfance et les années de formation de chacun: Catriona Seth évoque les débuts d’une “Louise” devenant “Germaine,” l’adoption de son deuxième prénom agissant comme l’expression auctoriale et patronymique de la maturation de celle qui cesse peu à peu d’être “Minette.” Anne Boutin, à travers le projet autobiographique de Ma vie, scrute quant à elle la recomposition mnésique du discours constantien. On ne saurait du reste parler de la fille de Jacques et Suzanne Necker en faisant l’économie du couple parental, dont on sait les liens profonds qui l’attachèrent à leur unique enfant, de leur vivant comme après leur mort (Catherine Dubeau). Avec les Lettres sur J.-J. Rousseau (Jean-Daniel Candaux), la partie se ferme sur un écrit précoce soulignant la filiation intellectuelle avec Jean-Jacques, dans un “premier essai critique consacré à la vie et à l’œuvre du citoyen de Genève (51),” et abordant la question de la complexité des processus éditoriaux.

Les quatre chapitres rassemblés sous le titre “Un couple en Révolution” convient ensuite à une incursion à la fois biographique et intellectuelle dans ce moment unique de l’Histoire qui fut à la fois vécu ou observé et pensé par les deux auteurs. C’est le moment où Germaine devint à proprement parler Femme de Lettres, à la faveur d’une renommée croissante qui devait faire tantôt sa fortune, tantôt son malheur dans la France directorienne, consulaire puis impériale, comme le rappelle Antoine Lilti. Benjamin, de son côté, forge sa conscience politique à la Cour du duc de Brunswick, dont il est alors Kammerjunker (Burnand). C’est également un véritable “esprit de résistance” (89) qui commence à modeler la pensée et l’attitude staëliennes, finement analysé par Florence Lotterie. Entre-temps, Gérard Gengembre et Jean Goldzink livrent de nouvelles pistes de réflexions quant au vaste bilan posthume que dressent les Considérations sur la Révolution française, ce testament politique autant qu’historiographique.

Les “Engagements politiques” sont à leur tour interrogés, d’abord au prisme du discours sur la liberté des Anciens et des Modernes prononcé par Constant en 1819, dont Giovanni Paoletti nous montre qu’il concentre les principaux linéaments de la philosophie libérale de l’écrivain, qui fut également orateur de talent (Françoise Mélonio) et, à ce titre, devint une figure emblématique de la gauche (Guillaume Poisson). Avec le célèbre groupe de Coppet, ces “États-généraux de l’Europe,” Staël constitue pour sa part autour d’elle un pôle cosmopolite et chaleureux irrigué par tout ce que le Continent compte d’esprits éclairés (Marie-Claire Hoock-Demarle). Par-delà ces stratégies de réseaux, cependant, c’est l’exil, à la fois géographique et métaphysique, qui marque selon Jean-Marie Roulin deux trajectoires dominées l’une comme l’autre par un sentiment d’inquiétude ontologique.

La dernière partie de l’ouvrage offre un recentrage délibéré sur le matériau littéraire à proprement parler, y compris dans son intertextualité lorsque François Rosset propose une lecture en miroir d’Adolphe et de Corinne, ces “romans par temps d’orage” (149), ou dans le paratexte, en l’occurrence les illustrations des romans staëliens, suggérant à Michel Delon une réflexion esthétique plus vaste. Enfin, trois chapitres nous invitent à pénétrer dans deux écritures de l’intime: ces ultimes voyages vers des régions plus profondes éclairent  les méandres des journaux successifs de Constant (Philippe Lejeune), reviennent sur l’exil staëlien vu cette fois comme expérience intérieure et morale (Damien Zanone), pour se clore sur une étude, proposée par Stéphanie Genand, de la présence d’un paradoxal “imaginaire de la vieillesse” chez celle dont la postérité n’aurait retenu qu’une “éternelle jeune femme” (189).

Cette somme, puisque c’en est une, mérite d’être saluée pour sa qualité formelle, allant de l’élégance du format in-4à la clarté de la mise en page et à l’originalité de la matière iconographique, soient autant d’agréments généralement réservés au livre d’art, et malheureusement peu courants dans la production scientifique. Quant à ce dernier aspect, qui demeure tout de même le plus important, l’ouvrage dirigé par Burnand, Genand et Seth a relevé un défi qui n’était pas des moindres, celui d’établir une synthèse aérée et plaisante conservant toutes les exigences de la rigueur universitaire et s’adossant à une structure convaincante. Certes, il peut sembler parfois qu’on y (re)découvre moins le parcours du couple Staël/Constant que leurs deux parcours particuliers, complices mais ne se croisant que furtivement. N’était-ce cependant pas là la meilleure manière de célébrer cette connivence passionnée et turbulente, hors de tous les codes, et à laquelle il eût été réducteur d’assigner un développement plus convenu?